Moroni en quête de scène(s) et de public(s)

Un secret de polichinelle. A Moroni, le plus grand souci des artistes est d’avoir un espace pour se produire. Cette situation exige une réflexion conséquente et des actions que les créateurs ne parviennent pas toujours à mettre en place.

On sait que l’Alliance française, rendue guichet unique pour nombre d’artistes, est désormais pointée du doigt. Il en est qui la considèrent peu accueillante, à l’égard des acteurs culturels locaux, oubliant qu’à la base ses missions portent sur la défense de la langue et de la culture française(s). D’ailleurs, la place accordée à la culture du pays d’accueil (y compris aux opérateurs locaux) n’est souvent qu’un prétexte pour entretenir son image. Où l’on reparle du soft power[1] à la française. Rebaptisée « franco comorienne » au début des années 1980, l’institution est redevenue « française » depuis une dizaine d’années, comme pour mieux préciser les contours de son cahier de charge. A l’inverse de l’American Corner, qui, en conviant la scène slam dans ses murs, fait parfois mine de ne pas servir d’autres enjeux.

Une chose est sûre ! Les artistes de la capitale sont de moins en moins satisfaits de l’accueil qui leur est réservé par Jean-Rémy Guédon, son directeur. Une figure de la musique comorienne – Salim Ali Amir – a profité de la tenue du concours Nyora dans ce lieu pour suggérer la création d’un autre espace, dédié aux artistes comoriens et à la culture nationale. Ancien membre de Studio 1, Salim connaît mieux que personne la difficulté d’œuvrer dans un écosystème culturel sans espaces dédiés à la création. Longtemps, lui et ses amis ont défendu les murs branlants de l’ex cinéma Al-Camar, à défaut de trouver mieux, ailleurs. Leur expulsion des lieux récente serait due au fait que leur équipe n’y avait envisagé aucun plan de réhabilitation. Le reproche vient de personnes proches des anciens sociétaires (« ayant droits ») ayant exploité le site. Ces derniers n’imaginent probablement pas la difficulté qu’il y aurait à remettre l’ancien équipement aux normes d’une salle d’aujourd’hui. Il aurait probablement fallu quelques millions à Studio 1, pour y parvenir.

La salle mythique, menacée par la ruine, ayant fermé, les artistes ne savent plus vraiment où aller. Pour un spectacle, le plus souvent un concert, ils sont contraints de se tourner vers l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS) ou d’aller se produire au stade Ajao. Des lieux improbables, non destinés à la culture, initialement, et qui, à force de réadaptation et d’improvisation, plombent les budgets des plus fragiles. La logistique et la technicité exigées par ces lieux (installation d’une scène, besoin d’une sono gigantesque, lumière et sécurité, sans parler de la difficulté d’assurer une billetterie à ciel ouvert) font craindre le pire aux organisateurs. Il arrive que certains leur préfèrent la solennité du Palais du Peuple. La salle de spectacle du parlement a plus d’une fois été utilisée par des festivals aussi importants que le FACC (Festival des Arts Contemporains des Comores) ou le CIFF (Festival international du film comorien). A défaut de mieux, les organisateurs préfèrent, souvent, miser sur cette possibilité.

La salle du Palais du peuple.

Mais s’il est vrai que la scène du Palais sied bien aux ouvertures de festival, elle n’est pas du tout faite pour une programmation culturelle permanente, en plus d’être réservé aux célébrations politiques. Les députés se plaignent, dès qu’ils le peuvent, de devoir supporter des défilés de créateur en manque de lieux. Les artistes eux-mêmes conviennent du fait qu’il s’agit d’un outil inapproprié. Dans leurs rêves, ils aimeraient mieux une salle dédiée à leurs seules créations. Où l’on se rend compte du manque de projets allant dans ce sens. Les décideurs économiques ne sont même pas sensibilisés à la question. La culture n’a jamais été un sujet de débat pour le monde des affaires. La création d’une salle dans la capitale exige pourtant une réflexion économique sérieuse, interrogeant la viabilité des différentes dynamiques existantes. Force est de reconnaître qu’il n’existe aucune perspective privée, d’autant que les logiques admises considèrent plutôt les créateurs comme des « bras cassés ».

Dans les villes et villages comoriens, existent bien des foyers associatifs et culturels, mais aucun n’a été conçu pour accueillir des événements culturels d’envergure. De nombreuses activités artistiques s’y tiennent, mais par défaut, là aussi. Ces lieux répondent rarement aux normes techniques. L’acoustique y laisse à désirer. Les plateaux scéniques sont à refaire. Un peu comme si aucun des architectes sollicités n’avait pensé à l’usage futur des lieux. Pour Moroni, ces foyers associatifs sont au nombre de quatre ou cinq. Mais si on compare celui des femmes, place de l’indépendance, celui du quartier Irundgudjani à Mboueni et celui de l’orchestre Aouladil’ Comores à Magoudjou, le fossé est tel qu’on finit par s’interroger sur les véritables raisons de leur existence. Ces lieux ont été construits, initialement, pour accueillir des manifestations coutumières (ukumbi, twarabu et autres tari). Ils ne répondent pas aux exigences des artistes contemporains. Affaire de goût et d’époque, sans doute. Les communautés qui ont financé ces foyers avaient d’autres attentes, en l’occurrence.

Des espaces existent, cependant. Des espaces qui pourraient être réaménagés au service de tous. Deux projets évoluent ainsi dans des lieux qui se meurent à petit feu, à défaut d’investissements. Il y a l’espace Mavuna à Djomani et l’Arène d’Oasis, situé au quartier du même nom. A Mavuna s’est créé le Centre Culturel des Artistes Comoriens (CCAS), avec le soutien de l’ancien ministre de la culture, Mohamed Ismael, qui, selon la légende, aurait exproprié les tenants du lieu – des entrepreneurs économiques – pour le mettre à la disposition des artistes. Un geste d’une grande portée symbolique, mais qui ne profite pas vraiment au monde des arts, dans la mesure où le collectif de créateurs rassemblés autour du comédien et metteur en scène Soumette Ahmed ne bénéficie pas de subsides lui permettant d’aller au bout de leur rêve. Ils y ont développé le Centre Culturel des Artistes Comoriens (CCAC), mais doivent se débrouiller pour le faire vivre. Le centre a eu beau accueillir la jeune garde des artistes de la capitale depuis 2012, les autorités font la sourde oreille face à ses doléances. Du coup, les anciennes chambres froides de Mavuna attendent toujours d’être transformées.

Le chorégraphe Seush et les membres de Tché-Za, sa compagnie en pleine répétition dans son lieu à Malouzini.

L’Arène d’Oasis, elle, a été prêté par la ville de Moroni à une structure – Washko Ink. – voulant développer un lieu alternatif de résidence et de création. Le projet prévoit de le céder à la commune de Moroni, au bout de 10 ans. La proposition est venue du poète dramaturge Soeuf Elbadawi. Cheikh Ali Bacar Kassim, ancien maire adjoint, voyait là un moyen d’offrir une salle de spectacle à peu de frais à la ville, mais des sportifs squattent les lieux de façon sauvage et se refusent à tout projet d’aménagement. Les promoteurs du projet espèrent que la nouvelle municipalité se repenchera sur la question.

Les deux espaces – le CCAC et l’Arène d’Oasis – peinent ainsi à sortir de la léthargie collective. En attendant, certains artistes, à l’instar de Lee Nossent, Akeem Washko ou Salim Mzé Hamadi Moissi alias Seush cherchent à créer par eux-mêmes de petits lieux, pouvant servir leurs propres logiques de création. Le chorégraphe Seush envisage même la possibilité d’ouvrir une école de danses urbaines dans le sien, situé au quartier Malouzine. Sera-t-il soutenu par les autorités ? D’aucuns se souviennent de l’expérience menée autour du Muzdalifa House entre 2009 et 2016. Fondé à titre expérimental par Washko Ink., ce laboratoire a permis l’émulation d’un certain nombre de projets artistiques, mais n’a jamais bénéficié de la moindre aide de la part des autorités.

Il a dû se frayer un chemin seul. Ce que des projets plus ambitieux en termes d’espace – le Muzdalifa House, initiative semi privée, était logé dans une véranda familiale du quartier Sanfil – ne peuvent se permettre. Le CCAC ou l’Arène d’Oasis exigent plus de moyens et de responsabilités. Plus de mobilisation de la part des artistes, également. On n’est jamais mieux servi que par soi-même dit l’adage. On se dit aussi que les principaux acteurs de cette scène gagneraient à rassembler leurs forces en une, pour se projeter dans une seule et même dynamique, fédérant ces projets éclatés dans la ville. Dans tous les cas, cela exige aussi une réflexion, concernant les publics, sans lesquels ces lieux, quelque soit leur importance, ne peuvent exister. Au lieu de s’éparpiller, chacun dans son coin, il serait temps qu’ils unissent leurs envies. Histoire de voir encore plus loin.

A.O Yazid


[1] Diplomatie d’influence.