Emergence. Du talent à l’eau pure. Quand l’artiste se contente de poser son regard sur le monde. Sans discours, ni fioritures, d’aucune sorte. Isma Kidza est de ceux-là̀. a cet art de figer le paysage dans un chant de lumière, tout en restant humble, hors champs. Car il n’aime pas le bling bling, dit-il. Photographe remarqué sur la quatrième ile – Maore – Isma joue avec la fantaisie et les envies des petits. Tout en discrétion et malice. De la grâce et du tact, aussi. Il a cette tendresse dans le viseur que les rapports de plus en plus marchands de cette microsociété́ n’arrivent pas à broyer. Il croit en l’homme. Avec cette envie pressante de raconter le paysage autrement qu’en s’exhibant dans la violence qui surchauffe l’ile. La photo pour lui est synonyme de libération. Une addiction certaine. Le meilleur des shoots qui soit. Sur les réseaux sociaux, Isma butine, chaque jour, en ramenant sans cesse son « Mayotte » à lui dans le post. Des images curieuses, qui misent sur l’espérance et l’enfance d’un archipel. Un poème…
L’intérêt pour la photo vous est venu comment ?
Je voyais de grands reporters comme Alwawa – de son vrai nom Ali Mohamed, ancien photographe duu journal Al-Watwan à Moroni – et Midar. Je regardais toujours leur boitier argentique. Je voulais toujours le toucher pour voir un peu comment c’est foutu dedans et au final c’est devenu une drogue pour moi.
Cela fait combien d’années que vous pratiquez ?
Presque 25 ans. J’ai commencé avec l’argentique.
Est-ce que vous vous souvenez de votre première fois avec un appareil ?
Avec un Kodak jetable. C’est ma grand-mère qui m’en a fait cadeau.





Images parues dans un portfolio de Mwezi mag en 2020. une vision d’archipel à un, à deux , à trois…
Quels types d’images faites-vous en général ?
Je fais souvent du street-art en photo de rue. Je fais pas mal de paysage, un peu de portrait. Mais mon kiff est dans le street et le paysage. Je ren la vie de tous les jours, je suis tellement bien que quand je shoote, j’oublie tous les soucis. J’oublie même le conflit entre Mayotte, les autres îles, le colon. Je demande juste à avoir la paix dans ce monde de brutes. La photo m’a permis de me retrouver, d’être simple et humble. Cela me donne toujours la force de motiver les autres passionnés de l’image.
Racontez-moi votre plus belle photo ? Comment vous l’avez faite ?
Ma première photo, je la vois. Je crois que c’est une photo que j’ai faite de ma fille. J’ai shooté avec un 7D et un objectif 18-135 à l’ilot de Mtsamboro. Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai shooté toute la nuit pour avoir deux photos bien.
Vous êtes beaucoup vu sur les réseaux sociaux. Mais vous n’exposez pas votre travail en dehors ?
Oui ! Je partage ma passion avec quelques amis. Je fais partie d’un groupe de photographes comoriens. On partage notre passion et quelques techniques de prise de vue. Je rencontre de bons passionnes comme Jacques Abdou, Azhar, Nemo, Adinane et pas mal d’autres personnes. Je n’aime pas le bling bling, c’est pas trop mon truc. J’ai fais une exposition, une fois. Cinq photos. Mais ce n’est pas trop mon obsession. Un jour peut-être… Inchallah…




Des images avec le tanimalandi des ancêtres. Sur le côté, non loin de la barge à Mamoudzou. Irma le humble, son chapeau et une guitare empruntée à un passant…
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
De petites images créatives. J aime trop la beauté des femmes des îles. J’aime aussi travailler avec l’argile (blanc). C’est du tanimalandi. On l’utilise souvent chez nous pour le culte des esprits. Moi, je l’utilise pour faire de l’art.
Arrivez-vous à vivre de votre art ?
De la photo, pas du tout ! J’ai quelques bricoles à côté. Je ne suis pas pro. Je suis juste un passionné. Cela arrive que des amis me proposent de faire des photos de mariage ou que des amis achètent mes clichés. Je suis cuisinier à la base.
Il y a ce travail que vous faites avec la lumière sur vos photos. Qui vous a inspiré cette bonne idée ?
J’ai déjà vu des tuto sur YouTube pour le light painting et j’aime ça. Je me suis fabriqué de la lumière avec des led, et parfois j’utilise la lumière de mon téléphone. Cela fait partir de l’esprit street-art. Il faut connaitre les réglages pour une pose longue, soit a 10s ou 1mn. C’est une technique très spéciale. Je joue aussi avec le feu. Ça peut être dangereux, mais quand on a la passion des belles images, on fait attention. Je me suis déjà brûlé pas mal, mais j’ai bien aimé le résultat. Je suis un fêlé à la base. Je suis capable de me réveiller à 3h du matin pour une photo de light painting.




Paysages et voie lactée.
Il y a aussi ces images où vous jouez avec la voie lactée…
Je suis un enfant des îles de la lune. Jai toujours voulu photographier la voie lactée. Je vois les étoiles presque toute la nuit. Je profite quand il n’y a pas la lune pour bien converser avec cette vois lactée. Je fais toujours des poses longues – 30s à 1mn – avec un simple objectif. Un 18mm ou un grand angle. Il faut être patient pour faire ce genre de photo.
Quel est votre plus grand regret depuis que vous faites de la photo ?
De ne pas avoir photographié ma grand-mère avant sa mort. La tradition et ses gardiens disparaissent chez nous. On ne voit plus grand’chose de notre culture la plus ancienne. Certains cherchent la facilité avec des logiciels. C’est devenu plus facile pour eux de rester devant leur écran que d’aller sur le terrain. Moi, j’aime le contact avec les gens et j’ai envie de faire connaître cette culture que tout le monde cache, soit à Mayotte, soit chez moi en Grande Comore. Ces 4 îles ont la la même culture. Le reste, c’est de la politique et des blabla. On s’est détesté entre nous depuis des années et c’est dommage. Je reste un enfant de ces îles. C’est pour ça que je trouve toujours des sujets à photographier. Ensuite, ma passion – qui n’a pas de race – m’a fait connaître pas mal de cultures. Maintenant, je ne veux que la paix ! J’essaie juste de trouver la bonne prise. Mais on trouve toujours un mec, qui se prend pour le roi de pétrole sur le chemin, parce qu’il est un peu connu, et c’est dommage. Tsinyangu…
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
Mwezi Mag a publié le travail du photographe Isma Kidza dans le n°4, l’an dernier. Vous pouvez le télécharger, en cliquant ici.