Les bonnes nouvelles ne vont pas assez vite

En temps de crise, les gens ont souvent tendance à s’inventer des récits pour noyer leur peur. A Moroni, Il y eut ce moment, par exemple, où les tensions face à la pandémie étaient telles que les riverains se retrouvaient chaque matin avec une promesse d’apocalypse.

Comme d’autres ailleurs dans le monde, les Comoriens se sentent impuissants face à cette pandémie. Il en est même qui en crèvent de honte, parfois. Mais les médias nationaux, contre toute attente, se sont mis à rassurer leur concitoyen depuis un certain temps. Al-Watwan, Al-Fajr, La Gazette – pour ne citer que ceux-là – ont l’air d’avoir trouvé le moyen d’en finir avec les rumeurs plombantes des mois passés, en allant voir ce qui se passe sur le terrain, notamment à Samba. Il y a de moins en moins de morts. De moins en moins de panique. De moins en moins de malades dépistés[1]. Les décisions étatiques, pourtant erratiques dans l’ensemble, deviennent, soudainement, moins gênantes. On promet même un vaccin : 100.000 offerts par la Chine. A croire qu’une bonne communication aura suffi à pacifier les discours. A l’inverse, personne ne s’interroge plus sur les manquements, les failles du système de santé ou les échecs cumulés par le comité de riposte au niveau national.

Les Comoriens savent désormais qu’il existe une stratégie sanitaire, même si elle ne paraît pas aussi solide qu’elle le laisse croire. L’Etat fait de son mieux. Localement, surtout, les gens se sont bougés. Dans un pays plutôt enclin aux divisions de toutes sortes (villageoises, régionales, insulaires), des citoyens motivés se sont distingués, en démontrant leur capacité à retisser du lien, au nom de l’ennemi commun. On a parlé de valeurs humanistes, de solidarité, de fraternité. Dans certains districts à Ndzuani ou dans des quartiers populaires de Mwali, il a été question de réponse concertée. De dynamique collective. Une démarche qui a semblé inspirer l’énergie des autorités – à commencer par le secrétaire général de la présidence – sur un concept de comités villageois, supposés plus efficaces, en matière de sensibilisation. Rien ne vaut, en effet, la prévention, lorsqu’il s’agit de mener une guerre de proximité contre un fléau aussi ingérable que la Covid-19. Et rien ne vaut une bonne fable, non plus, pour requinquer les esprits en souffrance.

Ce qu’on n’oublie d’interroger, ce sont les dispositifs en place à Mwali et à Ndzuani, ainsi que la raison de leur efficacité. On a oublié de dire qu’il existait des équipes de médecins, qui, dans ces îles, travaillent depuis des années à offrir des soins à leurs patients, hors des schémas classiques, liés aux enjeux de pouvoir et de redistribution budgétaire au ministère de la santé. A Fomboni, Dr Abdoulanziz a toujours eu un engagement communautaire certain. Il a contribué à former certains de ses collègues. Il a surtout essayé de mettre en place un écosystème dans l’île, tenant compte des limites du système au niveau national. A Mutsamudu, Dr Anssoufouddine Mohamed œuvre, pareillement, à Hombo. A l’image de certains de ses camarades, isolés dans les districts de campagne, il contourne le manque évident de moyens, en misant, principalement, sur le facteur humain. Ainsi dit, cela n’a l’air de rien, mais cela change jusqu’à l’idée que l’on se fait de la santé publique dans un pays où les démunis se comptent par milliers. Ses équipes, souvent, investiguent, écrivent, publient, des constats, des rapports, des articles.

Dr Anssoufouddine Mohamed, lors d’une campagne de sensibilisation.

Il faut voir ces médecins sur le terrain pour le croire. Mettant leurs ego de côté, ils devisent ensemble, s’échangent des modélisations, se transmettent des savoir-faire. Ce qui génère assez de complicité pour que la pandémie devienne à la longue une simple épreuve à leurs yeux. Comme l’a été le choléra, pour d’autres. La conscience d’être au chevet d’un pays, leur cohésion dans la manière de lutter contre le virus, cette conviction qu’ils ont d’être au bon endroit, au bon moment, les rend encore fidèle au serment jadis prêté. Cela est assez rare dans le pays pour être signalé. D’ordinaire, les médecins d’hôpital n’apprécient pas de sortir de leur cocon pour se rendre auprès de leurs collègues empêtrés, ailleurs, à l’autre bout du pays. Cela n’est pas le cas pour ces médecins-là.  Il n’est  donc pas étonnant de les voir consacrés dans l’opinion et écoutés par leurs pairs[2]. Il est tout aussi intéressant de noter le fait qu’ils évoluent dans de petites bulles, préservées du tumulte, saluées par les sans-grades et les sans-qualités de toujours. La plupart de leurs patients le sont. Leur seul ennemi, y compris durant cette campagne anti covid, ce sont les experts et les consultants locaux, qui, toujours, lorgnent vers la manne venant de l’extérieur, au lieu de chercher à avancer leurs propres solutions.

Abonnés aux agendas de l’aide internationale et aux salamalecs devant les bailleurs, ceux-là agissent en coterie, font du lobbying de haut niveau et se partagent les per diem et les compromissions. Ils sont un certain nombre à ainsi mal agir,  en influant sur les décisions, au niveau de l’Union. Personne n’irait condamner la conduite d’une clinique privée de la capitale, dirigée par un médecin pourtant bien connu du service public, qui, par négligence, se retrouve à répandre la covid-19,  pour non respect des protocoles de santé établi. Personne n’irait non plus mettre en cause les déportations – communément appelées « refoulement » – depuis Mayotte, qui ont causé l’intensification de la pandémie aux mois de novembre, décembre et janvier dans les trois îles. Les expulsés débarquent avec leurs tests rapides, ne correspondant à aucune réglementation sanitaire internationale, et avec l’aval des autorités comoriennes[3]. Les médecins comoriens qui sont allés, lors de la première vague, nourrir les rumeurs, servant à détourner le regard des « mahorais » de la mauvaise gestion de la pandémie faite par l’ARS[4], appartiennent à ces fameuses coteries.

Mais les bonnes nouvelles finissent, quoi que pas assez vite, par arriver dans les postes de santé de l’archipel. Lentement, chaotiquement, mais sûrement. Le Comorien prétend qu’il y a un Dieu pour tout. En réunion interministérielle sur la riposte anti covid, le président de la république lui-même se serait exprimé sur Dominique Voynet, qui aurait poussé un peu trop le bouchon, en prétendant que la variant sud-africain, présent à Mayotte, serait venu des trois autres îles de l’archipel. Il aurait pu parler de cette famille d’expatriés français, atteint dudit variant, dépistés à la Réunion au retour d’un séjour de vacances en Afrique du Sud, repartis à Mayotte ensuite. Ce qui aurait rappelé cet autre cas d’expatrié français à Mayotte, revenu de vacances de l’Oise, où se développait un cluster, avec le virus dans le corps, lors de la première vague. Les deux situations ont généré du désordre dans la gestion de la pandémie à Mamoudzou, où les chiffres continuent à inquiéter, sans que l’Etat comorien ne cherche une seule fois à stigmatiser les cousins de l’autre île. Ce qu est dommage, c’est que ni Voynet à l’ARS, ni Loute au ministère de la santé, ne pensent à discuter d’une riposte commune, alors que la maladie menace toute la région. Des méthodes utilisées à Mwali et Ndzuani auraient pu être profitables sur l’île demeurée française.

Lors d’une réunion de sensibilisation à Ndzuani.

Faut-il insister sur le fait que la préfecture de Mayotte, en accord avec l’Etat comorien, continue à déverser de manière discutable ses contingents d’expulsés, avec des malades à bord du Maria Galanta, sans que les rares Comoriens prétendument en règle (passons sur les inégalités et la liberté de circuler) ne puissent franchir la frontière dans le sens inverse. De la géopolitique de proximité ou comment réduire le paysage pour mieux asseoir sa vision du monde. L’asymétrie des relations repose en ce moment sur ce postulat : les frontières de Mayotte sont officiellement fermées depuis les Comores. Elles ne fonctionnent que dans un sens, lors des expulsions de masse. Et tant pis si cela génère des situations d’extrême détresse, menaçant la santé de tous. Car ceux qui arrivent par le Maria Galanta – le premier passeur du pays – repartent, dès qu’ils peuvent dans l’autre sens, en prenant des risques inutiles. D’où cette question : n’y a-t-il pas moyen de réfléchir ensemble à la violence qui s’exerce sur cet océan à jamais en partage ? Mayotte elle-même ne gagne pas au change.

Au lieu de répondre à cette interrogation, les autorités des deux rives préfèrent surjouer leur rôle dans les médias, afin de donner l’impression de maîtriser la crise, tout en promouvant des accords-cadres et des conventions de mendicité déguisée. Moroni étant en pleine euphorie, suite aux dernières nouvelles (qui sont, certes, bonnes) sur le front de la pandémie, on s’abstiendra de toute polémique à connotation politique. On peut cependant parler de ce qui se fait actuellement à Ndzuani. Une surveillance musclée sur le terrain (diminution du nombre de cas de covid-19, de cas de fièvre au niveau global, des cas de décès communautaire) a permis de déterminer un fait objectif. Les malades en errance (entre Hombo, Bambao et Tsembehou), et surtout les décès, qui ont paniqué tout le monde, découlent d’un certain nombre de diagnostics, établis par des agents de santé mal formés ou en complaisance avec leurs patients.

Une opération de vigie a été mis en place pour tenter de mieux saisir les difficultés sur le terrain. Des consultations ont été menée sur des populations précises. Sur 307 joueurs de la coupe des Comores, 100 dockers sur le port de Mutsamudu ou encore environ 100 personnes employées par l’ORTC sur l’île. 5 cas positifs pour les premiers, 2 pour les seconds et 2 autres pour les derniers. De quoi rassurer sur l’évolution de ces dernières semaines, en n’espérant  qu’il n’y ait pas de vice caché. En même temps, le corps de santé s’investit dans les écoles, pour encourager au respect du masque, du lavage des mains et de la distanciation. Il est clair que la fermeture des écoles a dû pas mal aider les résultats de ces derniers jours. Mais ne pourrait-on pas « modéliser » cette expérience menée à Ndzuani sur l’ensemble du territoire ? Les autorités nationales ne pourraient-elles pas reprendre certaines expériences locales qui marchent à leur compte, de manière à élargir la perspective commune, à l’image des districts de santé – chose qui se faisait déjà au niveau insulaire – que l’on responsabilise ? Les autorités françaises (à Mayotte) ne pourraient-elles pas profiter de l’expérience comorienne ? Et pourquoi pas ?

Soeuf Elbadawi


[1] 146 morts déclarés, 3681 cas dépistés positifs depuis le début de la pandémie, 75 cas dans la semaine du 10 au 23 mars 2021.

[2] Les deux ont été consacrés « personnalités de l’année » par Al-Watwan, le journal national. Dr Anssoufouddine Mohamed, pour avoir été « le cerveau de la lutte anti-covid à Ndzuani »,Dr Abdoul-Anziz Hassananly, pour « son courage et son professionnalisme », cf. Al-Watwan du 4 janvier 2021.

[3] Exception faite du gouverneur de Ndzuani, Anissi Chamsoudine, qui, se rendant compte du drame causé par l’arrivée massive et sans contrôle de refoulés, porteurs de la maladie, a fait interdire les débarquements par arrêté. Une décision qui a vite été annulée sur ordre du ministre des affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal,le ministère des affaires étrangères.

[4] Agence régionale de la santé, dirigée par Dominique Voynet, ancienne ministre français. A Mayotte, il y a eu 151 décès, 19006 cas recensés depuis les débuts, 593 dans la période du 10 au 23 mars dernier.