Les Comoriens à la CAN

Nul besoin d’une canne pour danser le feu de la victoire, encore et encore, jusqu’à l’ivresse. Soultoine s’insurge contre ce moment de grâce, où tout le monde en oublie l’essentiel d’un pays. Son économie, son manque d’oxygène anti covid dans les hôpitaux et l’indifférence de ses joueurs (désormais côtés à l’international) pour les situations de crise qu’il traverse. Un propos qui ne peut qu’interroger, « n’en déplaise aux maigris », comme il dit.

Tout le monde, il est content ! A Moroni, les gens ont eu le droit de s’exhiber sans masque, ce jeudi 25 mars. On a gagné, on a gagné, on a gagné ! Du vert partout. Sur le corps, sur les voitures, sur les assiettes. On en a bouffé comme jamais. Sans retenue, sans ajout. Juste en mode qualification ultime pour la Can. Un match nul contre le Togo pour une qualif à la 33ème CAN au Cameroun en 2022. Une victoire historique pour les Coelacanthe, qui pose bien évidemment question. Le foot n’étant que simple divertissement aux Comores, n’est-il pas simplet etexcessif de vouloir lui faire porter les échecs politiques d’un pays en mal d’unité nationale ?

A Mamoudzou, sur le parvis du Comité du tourisme.

Au lendemain du match, les esprits se sont calmés d’eux-mêmes. Chacun a vite retrouvé ses réflexes de citoyen modèle, apostrophant les gens de brousse, pointant du doigt ceux qui se réclamant de l’autre île, oubliant que la veille on s’extasiait ou presque sur ce petit mahorais, au regard digne, posé à côtés de ses frères d’archipel. Terrible moment de fiction pur jus, où le virus comme par magie a donné la sensation de se soustraire au temps, célébrant le droit de se postillonner de bonheur dans les rues de l’archipel réunifié. Enfin, n’exagérons pas, car Maore, durant ce même temps, continue à remplir le Maria Galanta de centaines de déportés, même si des compatriotes se sont retrouvés sur le parvis du Comité du tourisme à Mamoudzou pour chanter l’hymne de la victoire ensemble…

Limite surréaliste ! Ce temps de la fiction collective, si rarissime dans nos petits cerveaux, a semblé si vrai que tous les politiques comoriens ont bien voulu applaudir, de bon cœur. Au nom du symbole et de la fierté nationale. Et tant pis si le réveil a été rude, le lendemain matin. Pas pour tous, certes, puisque nombreux sont ceux qui dorment encore, sous le poids de leur victoire. Ils sont tellement endormis, qu’ils en oublient de commenter l’essentiel. L’Etat a été capable de débourser 155.000.000 de francs pour deux matchs, alors qu’il ne savait pas où donner de la tête, il y a encore peu, quand on lui parlait de financer le double des bouteilles d’oxygène anti covid dans les centres de santé. On connaît tous l’histoire de la petite fille de Mitsamihuli.

Le coup de gueule de l’artiste Lee Nossent, au lendemain du match.

Qui n’a pas gueulé contre les autorités et leurs manquements évidents dans la gestion de la pandémie ? Cela va faire plus de quatre mois que l’électricité va et vient au rythme d’un délestage à l’aveugle reprogrammable à souhait. Les commerçants crèvent la dalle devant leurs containers à la douane, incapables de savoir comment redonner des forces à leur activité, après plus d’un an de pandémie. Les écoles ont réussi pour leur part à prouver leur efficacité dans le rôle du mini centre aéré pour élèves déroutés et parents irresponsables. Mais tout ça, on s’en fout, hurle mon voisin de quartier, on a gagné à notre place à la CAN, et cela excuse tout. Le président pourra donc aller s’ébaudir devant ses pairs de l’Union africaine, où il siège en qualité de vice-président, cette année.

Car si ndekina ! Ce moment reste historique, en tous points. Cette liesse populaire n’a pas de prix, n’en déplaise aux jaloux et aux maigris. Même Bollywood – pour ne prendre que cet exemple – n’a jamais réussi cet exploit. Cette tension, ces rires, ces explosions spontanées de joie. On criait, on dansait, on jubilait. Même si rien ne va plus dans la vraie vie. Car on se rassasie de promesses d’émergence, de plus en plus. Ce qui n’a pas l’air d’inquiéter cette diaspora du foot, venue rehausser les couleurs nationales, sans dire un mot sur la crise sanitaire. Qui leur posera cette question ? Ailleurs, le foot rapporte des millions, y compris dans les foyers populaires. Aux Comores, il coûte un bras à l’Etat, nourrit des stratégies de carrière de techniciens, d’experts et de politiques, honore des carrières de joueurs aux destins si éloignés du pays, en négligeant les équipes locales (à peine deux sélectionnés sur 29 joueurs) considérées comme incapables. Qui osera rappeler ce petit fait qui a toute son importance dans le récit ?

La liesse, la liesse, la liesse…

Qui voudra rappeler qu’ailleurs, en Afrique de l’Ouest, les pros du foot investissent dans l’économie, s’intéressent au devenir des leurs, contribuent au développement de leur pays ? On s’inquiète de voir les Comores recalées aux Jeux des îles de l’Océan indien, en refusant de reconnaître que les hommes d’affaires se battent à Maurice et à la Réunion pour garder la main sur ce rendez-vous, parce qu’ils savent depuis longtemps comment fusionner leurs attentes, celles de leurs peuples, avec les lois du business. Nos hommes d’affaire à nous, eux, que font-il, pendant ce temps ? On dit qu’ils auraient donné de l’argent pour la CAN, qui en remporte à d’autres. Soyons sérieux un instant! Fiers ? Oui ! Nous le serons, un jour, lorsque nous aurons un monde du sport qui aspire aussi à relever notre PIB ! N’en déplaise aux maigris, là aussi.

Qu’on nous le promette pour un jour n’est pas le souci ! Mais que le citoyen accepte de noyer sa faim dans une victoire qui ne profite qu’aux joueurs, aux dirigeants du foot comorien, au président et à ses amis, prenez pas nous pour ce que nous ne sommes pas. Lee Nossent a raison : on aurait dû porter le masque pour fêter cette victoire. Être précautionneux, à défaut de transformer ce temps du ballon rond en fin de crise sur les fronts qui nous occupent chaque jour : la santé publique, les droits de l’homme, l’autosuffisance alimentaire, l’éducation de qualité ou encore la culture. Tous autant de questions que pourraient se poser nos valeureux joueurs au passeport comorien délivré à l’ombre d’un badamier azaliste. A qui profite vraiment l’avenir du foot aux Comores ? Aux citoyens ?

Soultoine