Une histoire de la photo a Ndzuani

Une histoire de la photographie comorienne est en train de s’écrire avec la revalorisation des clichés effectués depuis les années 1940 à Ndzuani par Choudjaiddine Ben Said Ahmed, figure tutélaire, et sa famille, bien avant l’apparition d’une nouvelle génération de preneurs d’images dans les années 1970. Une histoire de pionniers, qui remonte à sa rencontre avec Mbaraka Sidi à Mutsamudu.

C’est l’histoire, en effet, d’une rencontre entre les deux cousins. Choudjaiddine Ben Said Ahmed et Mbaraka Sidi. Les deux sont connus, respectivement à Ndzuani et à Ngazidja, pour être des pionniers de la photo dans le pays. Il est aussi dit que le second a mis le pied à l’étrier au premier, même si d’aucuns pensent que c’est Abdou Sidi qui leur a transmis le feu à eux deux. L’arrivée de la photographie sur le sol anjouanais date en tous cas de la fin du XIXèmesiècle. Objet de distinction sociale, elle a beaucoup été pratiquée à Mutsamudu, la capitale de sultanat, surtout au sein de la famille royale. On ne compte pas les clichés réalisés du dernier sultan de l’île, Saïd Mohamed Sidi, et de son père, Saïd Omar Al Macely.

A l’époque, la ville de Mutsamudu fournit l’élite anjouanaise en troupes. La plupart des enfants, issus de la bourgeoisie féodale, deviennent des commerçants ou des agents de l’administration coloniale. De faire partie de ce milieu et de bénéficier d’une formation à l’école coloniale constituent des atouts majeurs pour le futur preneur d’images qu’est Choudjaiddine. Son cousin, Mbaraka, qui pratiquait déjà la photo à Moroni, aimait se rendre à Mutsamudu pour retrouver la famille de son père, Mohamed Sidi El Fassi. Une occasion pour Choudjaiddine d’éprouver sa passion pour l’image à ses côtés. Selon Ambdou Dossar, le petit-fils, Choudjaiddine s’est vraiment consacré à l’image à partir des années 1940, même si cette pratique lui est apparue dix années plus tôt.

De gauche à droite, et de haut en bas: Mohamed-Chamsidine ibn Said Caabi, Mariama binti, belle-sœur de Choudjaiddine, Mohamed Abdallah Boudra, Choudjaidine ibn Said Ahmed (Tossimba) i, Roukia binti Choudjaiddine.

« J’ai des photos de famille prises par Mbaraka Sidi où mes oncles étaient encore gamins » rapporte Ambdou Sidi. Choudjaiddine Ben Said Ahmed et Mbaraka Sidi sont néanmoins de la même génération. Nés aux environs de 1915, duu temps des états-civils façonnés dans l’à-peu-près. Choudjaiddine marquera les esprits à Ndzuani par son œuvre, mais son studio à Mutsa se réclame des échanges réalisés avec le cousin. Un certain rapport à l’image, qui ne s’ancre pas dans une démarche artistique, mais bien plus dans une volonté de témoigner de l’époque. Documenter le réel, faire passer des émotions, figer l’instant. Choudjaiddine célébrait les rites et les retrouvailles du clan, tiraient les portraits et figeaient les événements officiels. Ses images étaient brut de décoffrage face à une réalité anjouanaise en mutation. « Il était photographe de portraits individuels ou familiaux », nous dit Anli Yachroutu Jaffar. Ni prétention, ni excès, dans le fait de faire tonner le petit oiseau, au sortir de la boîte, comme on aimait à le dire, tantôt.

La pratique photographique est alors perçue comme une chose étrange ou magique. Il y a ceux qui ont peur de se faire dérober leur âme et il y a ceux qui admirent le geste de « l’artisan photographe », pour reprendre une expression de Anli Yachroutu Jaffar. Cela n’empêchera pas Choudjaiddine de transmettre sa passion à sa fille, Roukia, et à sa belle-sœur, Mariama Binti Mohamed Sidi. Des apprenties, qui, très vite, assureront le travail en studio, pendant que le maître ira par delà les sentiers guetter le sujet. Choudjaiddine s’affirmera plus en extérieur. Une démarche qu’il transmettra également à d’autres membres de sa famille : « A Mutsamudu, ils étaient trois artisans photographes. Choudjaiddine, le premier. Mohamed-Chamsidine ibn Said Caabi, père de Caabi Anli yachroutu, l’ancien premier ministre, en second. Mohamed Abdallah Boudra, frère de Halidi Boudra, le plus jeune, en second. Ce sont nos trois anciens », raconte Anli Yachourtu Jaffar. A la manière du colon, qui photographie l’aristocratie et la famille royale, de Mutsamudu à Domoni, les trois photographes multiplieront les séances privées. Saïd Omar ben Saïd Hassane, l’avant-dernier sultan de l’île, également petit-fils de Abdallah 1er, surnommé « prince vert » par les Français, mort  en 1892, est le plus représenté de tous en image.

Le chantier de l’ujumbe à Mutsamudu, prévu pour accueillir le musée de la photographie.

Dans la restauration en cours de l’ujumbe de Mutsamudu, ancien palais des sultans de l’île, il est prévu un projet de musée de la photographie. Comme une manière de rappeler les liens passés entre les acteurs de l’image et les familles au pouvoir à la cour. Une manière surtout de réinterroger une mémoire photographique, restée méconnue, condamnée, surtout, à pourrir dans des albums de famille que défient le temps et la poussière. Dans ce pays où la photo entre dans la catégorie des « arts nouveaux », encore peu considérés, l’enjeu de ce musée des images à Mutsa paraît crucial. La dimension patrimoniale des photographies de Choudjaiddine Ben Said Ahmed ou de ses cousins et amis est indiscutable. Mais on sait ce qui est arrivé à l’œuvre de Mbaraka Siki, le premier maître. Dispersée, abandonnée par les siens, enfermée, dit-on, dans un container en plein soleil, à défaut de trouver un chercheur qui la valorise, comme a pu le prétendre Sophie Blanchy, en dépoussiérant le Fonds Pobéguin. Au Centre de Documentation et de Recherche Scientifique (CNDRS) à Moroni, la plupart des images conservées ont été bradée de façon incompréhensible à des chercheurs, ou étrangers, ou comoriens, pour qui l’intérêt d’une mémoire mise en partage n’est que secondaire.

Dans un pays en quête de sa propre histoire, l’enjeu est de taille. Les promoteurs du futur musée de l’ujumbe évoquanet l’enthousiasme, en parlant de l’intérêt suscité au sein de la population : « Les quelques photos que nous avons publié ont réveillé la conscience des mutsamudiens, quant à leur appartenance à al même famille » avance Ambdou Dossar. A noter qu’un des reproches effectués au projet de réhabilitation de l’Ujumbe réside justement dans cette volonté de renouer avec les histoires intimes des familles issues du règne féodal. Comme si le travail en cours, potentiellement « récupérable » dans le domaine du tourisme, était une manière toute déguisée de célébrer des grandeurs passées, et  non un moyen de contribuer à la reconstruction d’une mémoire collective. Pour l’heure, une plate-forme consultable sur le net, préfigurant le contenu premier de ce musée de la photo, amorce la dynamique. Reste à savoir si les autorités seront assez sensibles à la démarche pour la soutenir, en y ajoutant, entre autres, la dimension populaire manquante. Pour que cela ne s’arête pas à l’hommage rendu à Choudjaiddine, sa fille ou ses cousins, qui ont repris le flambeau.

Said Omar Said Athoumani

Image en Une de l’article : le photographe Choudjaiddine.