Une quête spirituelle

Qadriyya, shadhuliyya, rifaiyya, salawiyya, dandarawiyya, nakshibandiyya ou tidjaniyya. De tous les ordres de l’islam connus, ce sont ceux-là qui se sont implantés dans l’archipel des Comores. Apparues dans l’archipel vers le 12èmesiècle, ils ont favorisé le développement de la foi musulmane au sein de la population. Plus d’un siècle après l’expansion de la plupart d’entre eux, on peut s’interroger sur le rôle exact qu’ils ont joué au quotidien[1].

Car il n’y a pas de doute. Les confréries sont les agents de propagation de l’islam dans l’archipel. De ce point de vue, les Comores sont traversées par les courants de pensée développés par les imams pour maintenir la communauté musulmane sur le chemin tracé par le prophète Muhammad à la fin de sa mission sur terre. Auteur d’un mémoire de Maîtrise sur le sujet en 1982/83, Chamsdine Bin Ali Kordjee situe le début de ces confréries au 12ème siècle, période correspondant selon les recherches archéologiques au début de l’islamisation des Comores par des soufis – venus de la Péninsule arabe pour les uns et du Moyen-Orient pour les autres.

Adepte de la confrérie Shadhuliya dont il doit l’acquisition de la science à Cheikh Yahaya, son kutb (maître), Mohamed Kassim se positionne comme l’un des héritiers de la confrérie telle qu’elle est enseignée par le Grand maître Abdallah Darouèche, le fondateur de la congrégation aux Comores avant que Cheikh Maaruf, son successeur incontesté et vénéré, ne procède à un travail qui aconduit à l’expansion de l’Ordre sur l’ensemble desîles de l’archipel.

Cheikh Mohamed Kassim, lors d’une commémoration en hommage au cheikh Fayadhi à Moroni.

Pour Mohamed Kassim, rencontré à Itsandra (Ngazidja), « l’objectif de ces congrégations est de protéger et faire en sorte que les termes du Coran et les termes des paroles du prophète soient bien exécutés par les musulmans ». Chamsdine Kordjee, interrogé à Maore, décrit le rôle des confréries comme un « moyen d’exaltation en vue de se rapprocher de Dieu au delà de la soumission ». Un lien entre les besoins temporels et spirituels. « Il est important de signaler que la majorité des Comoriens estiment que le croyant ne peut pas gagner le salut sans recourir à un intermédiaire qualifié afin de pouvoir se fixer sur lui ».

Une observation qui confirme l’explication que fournit Mohamed Kassim sur la genèse de ces Ordres. « Il y a le suprême, Muhammad, l’almanach de tout ce qui est révélé ou caché. Le monde ne se fie qu’à ce qui est apparent (d’où le matérialisme qui fonde l’athéisme). Nous, nous croyons à ce qui est caché. Il y a eu une subdivision des groupes qui se mettent à explorer l’invisible. C’est l’essence du Tariqa (la confrérie) qui recherche à approcher ce niveau de sublimation ». Cette quête de spiritualité part de la conviction selon laquelle « l’âme est divisé en sept catégories »que l’homme doit franchir dans son élévation vers la pureté de l’âme « depuis son étape la plus impure jusqu’à son niveau le plus élevé ». Mohamed Kassim précise cependant que l’humain ne peut dans sa perfection atteindre le 7ème degré d’élévation « qui est réservé aux seuls messagers de Dieu ».

Cheikh Mohamed Kassim, lors d’une commémoration en hommage au cheikh Fayadhi à Moroni.

Le point commun de ces groupes est leur lien étroit à l’arbre généalogique de la religion islamique. D’où la multiplicité des confréries, qui sont en quelque sorte les branches de cet arbre, et dont chacune porte le nom du kutb l’hawuth. Le Grand maître unique qui « quelque part sur cette terre » – on ne sait pas où, indique M. Kassim – régit l’ensemble de ces congrégations. En cela les confréries ne sont pas différentes dans leur essence et confirment l’universalité et l’unicité de l’Islam, qui ne tolère pas de schisme. Leur diversité relève donc de ce principe de l’Islam qui dit que « tout ce qui créateur d’un bien dans la prière, dans la société, dans la culture » participe au renforcement de la foi et donc de la religion. « Toutes iront en enfer sauf celles qui exécuteront comme j’ai exécuté ».

Toutes les confréries partent donc de cette même ambition suivant l’apport du chef de groupe. C’est donc au niveau des pratiques que l’on distingue en définitive les adeptes des confréries implantées dans l’archipel. Leur particularité commune repose sur un grand travail en rapport avec l’exaltation, mais aussi la convivialité qui crée le lien avec la société d’accueil. Très peu sont cependant tournées vers la solidarité ou la bienfaisance – qui sont des valeurs recommandées par la religion musulmane – sauf pour la construction des lieux de culte qui mobilise spontanément la communauté au nom de l’engagement envers la foi.

Kamal’Eddine Saindou


[1] Article initialement paru dans le journal Kashkazi du 17 novembre 2005.

Les sept confréries. Ba Alawi est une tribu du sud de l’Irak. C’est de là que vient le fondateur de la confrérie du même nom Alawiyya, représentée aux Comores en 1886 par Umar Ibn Alawi Abi Bakr, fils de A. Hadhrami. Un lettré très vénéré, qui mourut en 1976 à l’âge de 90 ans. Très connu sous le nom de Cheikh Omar Bin Sumet, le leader de la tariqa Alawiya a marqué particulièrement la région d’Itsandra, d’où il est originaire et où il repose dans le tombeau situé à l’entrée de la ville. La confrérie a cependant perdu de son influence et se classe en queue de peloton, tout comme la dandarawiyya. S’il est difficile d’estimer le nombre de confrères, les Comoriens conviennent que trois congrégations sont les plus actives. La qadriyya, fondée par Abd Al Qadr Al Djailane et représentée depuis plus d’un siècle aux Comores par Asharif As Sayid Abd Al Fattah, et surtout par Muhammad Ibn Ahmed Ibn Ab Bakr, originaire de la ville de Domoni. Arrive en deuxième position la rifaiyya de Ahmad Ar’rifayi. Cette confrérie a été implantée dans l’archipel par Salim Ibn Ahmed Al Himidi, originaire de Mutsamudu, durant la première moitié du 19ème siècle, selon Chamsdine Ali Kordjee. Mais la plus répandue est l’ordre shadhuliyya. Son fondateur Cheikh Abdallah Darouèche a remis le flambeau à Saïd Mohamed Ben Cheikh appelé Maaruf (1852-1904). Cet érudit a marqué l’histoire de la confrérie, qu’il a contribué à répandre à l’intérieur des Comores, et aussi au-delà. Menuisier de son état, on lui doit la construction de la mosquée du vendredi en plein cœur de la ville de Moroni. Il vient du quartier de Shashanyongo où se trouve son mausolée. Des milliers de Comoriens se déplacent pour venir prier devant son tombeau. En reconnaissance de son action, une des artères principales de Moroni et le plus grand hôpital de Ngazidja portent son nom. Enfin, deux autres congrégations sont en train  de se faire actuellement un nom : la tidjaniyya, venue du Sénégal, et la nakshbandiyya, moins bien connue, plus discrète. 

Dans un mémoire soutenu à l’Université de Dakar en 1982/83, Chamsidine Kordjee parle des confréries alawiyya et dandarawiyya. « Pour beaucoup », écrit-il, « la Tariqa ou voie mystique se réduit en un premier lieu à ce qu’on appelle la haïra (littéralement cercle ou circonvolution) ou le dhikr (souvenir ou mention). Cette digression est une mauvaise interprétation de la notion d’exaltation – au sens de la méditation  –  qui est censée constituer la quête de spiritualité en tant que dévouement à Dieu l’Unique ». On peut parler, poursuit Chamsdine, « de groupes affiliés, unis entre eux par une stricte obédience envers le fondateur de la congrégation ou ses successeurs reconnus. L’objectif est d’interpréter la foi musulmane par des pratiques permettant à l’homme de mieux assumer son salut dans l’autre monde ». L’affiliation comporte des obligations variables selon les ordres : « Obéissance totale au shany (shayn), le maître qui n’a d’ordre à recevoir que de Dieu ». Elu ou héritier, son rôle est de perpétuer l’existence du groupe et présider à l’exécution des pratiques ; conservation du secret ; entraide et solidarité entre les confrères qui s’obtiennent par un serment d’allégeance prêté à un maître ou à un chef d’ordre lui-même relié à une chaîne mystique remontant jusqu’au prophète. « Un recueil aux mains du détenteur de la Tariqa contient les principes fondamentaux » qui président la vie spirituelle du groupe.

Image à la Une de l’article : lors d’un dhikri à Bazimini à Ndzuani.