Mohamed Saïd-Ouma la diaspora en images

Portrait express d’un jeune cinéaste français d’origine comorienne. Conscient d’être en terrain vierge aux Comores, il travaille aux côtés d’Alain Gili au festival du film d’Afrique et des îles à la Réunion[1].

La démarche volontaire, le sourire suspendu, le regard en binocles, Mohamed Saïd-Ouma est l’archétype du Comorien universel. Cosmopolite et affamé d’histoires en images. Enfance réunionnaise, adolescence française. Avec une seconde vie arrachée au Londres des ouvriers immigrés et des parents qui entretiennent eux-mêmes un drôle de rapport avec leur pays d’origine. « Je suis un comorien de l’extérieur. Je suis le fruit de vies « éclatées ». Mon père a fui son île à 11 ans pour échapper a des oncles qui le maltraitaient. Ma mère est née à Majunga et a fait sa vie à La Réunion ».

Trente-sept ans bientôt et toutes ses dents. Ce jeune réalisateur est de ceux qui renouent avec le pays ancestral, tout en participant du monde alentour. Au risque du grand écart. « J’essaie de maintenir cet écartèlement, parce que c’est ma matière de travail ». Enfant de la diaspora, le pays des parents lui tient « lieu » de fantasmes. « Les Comores travaillent mon imaginaire. Je n’y ai pas d’ancrage physique précis. Je m’y sens chez moi, quels que soit l’île ou le village. Pour une raison mesquine d’ailleurs car je sais que je n’y suis que de passage. Mais plus que mon fantasme des Îles, c’est un pays du possible et de l’ouverture depuis que je m’intéresse à son histoire ».

Ce rapport se traduit en une quête effrénée d’images du Sud. Mohamed travaille pour le Festival du Film d’Afrique et des Îles à la Réunion, où il montre « des images faites par nous-mêmes, faites par ceux qui sont les plus proches de nous, physiquement et géographiquement, c’est-à-dire les cinéastes africains ». Une manière pour lui de s’interroger sur l’Autre avant de présenter son propre travail, qu’il produit dans un contexte de grande précarité : « Travailler l’image aux Comores n’a de sens que si c’est fait en dehors des structures existantes, car nous sommes en territoire vierge »

Mohamed Saïd-Ouma au Port à la Réunion.

Actuellement, il met la dernière touche à son « manifeste d’images en mouvement » entre Saint-Gilles et Sainte-Marie de la Réunion, où il réside. « Je l’appelle comme ça car je ne trouve pas d’autres mots ». Il s’agit d’un film sur l’imaginaire éclaté d’un enfant de la diaspora. Une réalisation qui s’inscrit avant tout dans une dynamique indianocéane, même s’il est vrai que le rêve d’une identité régionale se trouve quelque peu malmené de nos jours par des esprits retors. A La Réunion comme ailleurs…

Avec ses cases qui divisent et opposent. Les Malbars, les Cafres, les « Bankomor », les Côtiers ou encore les gens des hauts plateaux à Madagascar. « A mon retour dans la région, j’ai été surpris par toutes ces catégorisations. Mais le naturel est très vite revenu au galop et je vis ça de façon transversale. Ce sont des cases politiques et sociologiques qui permettent aux professionnels de la démagogie de rameuter des voix et aux ethnologues et autres sociologues d’avoir droit à la parole. Après, nous, qui ne sommes que la base de cette pyramide, on s’en fout un peu. L’essentiel est ailleurs. A-t-on quelque chose à faire ensemble ? Si oui, comment ? »

Un discours qui aimerait contribuer à consolider les liens entre les pays de la zone, à l’heure où la coopération régionale bat de l’aile. « Le jeu est faussé au niveau de la coopération culturelle, celle que je connais. Car si aujourd’hui je désire tourner un long métrage avec un minimum de sécurité financière dans la région, en faisant travailler des comédiens et techniciens de la région, il n y a pas d’institution capable de m’aider à le faire, sauf peut-être en allant voir du coté sud-africain. Avec beaucoup de réserves néanmoins, parce que les sud-africains sont malheureusement tournés vers Hollywood ».

Soeuf Elbadawi


[1] Article paru dans le Kashkazi n° 62 d’avril 2007.