Salim M. H. Seush fait métier de danser pour tous à Moroni

Seush croit en la danse. Plus de 20 ans qu’il y rejoue ses rêves d’artiste. S’y ajoutent, aujourd’hui, d’autres ambitions. Après avoir créé la compagnie Tche-Za, le danseur et chorégraphe ouvre les portes d’une école de danse, avec la volonté de contribuer à structurer et professionnaliser le milieu de la danse à Moroni. 

Qui pouvait dire que les battleorganisés dans les années 2000 par de jeunes écoliers de la capitale allaient donner naissance à des vocations. Après tout, ça n’était qu’une manière de s’amuser. A côté, il y avait surtout les études. Pour l’un d’entre eux, Salim Mze Hamadi alias Seush danser est devenu un métier. Il n’est pas le seul, mais il est peut-être celui qui à montré le plus de ferveur à poursuivre ses rêves de danseur. « Aujourd’hui la danse a pris de l’ampleur à Moroni. Ça commence à ouvrir des portes. Ce qui, à nos débuts, était impensable », dit-il. Expérience inédite, la Cie Tche-Za, qu’il a créée en 2014, fait vivre neuf danseurs du pays. Et voilà qu’en ce mois de mai, il se rajoute une mission à son cahier de charges : une école de danse. Une évolution, dont il se félicite : « Je suis content quand on rentre dans une banque et qu’on demande à mes danseurs, quel est votre métier et qu’ils répondent « danseurs professionnels », ou lorsque l’un d’entre eux ose répondre à un fonctionnaire un peu arrogant, [en disant] « oha, je suis mieux payé que toi ! ». Pour en arriver là, Seush a dû travailler avec détermination. En courant les battle, les stages, au Sénégal surtout, où il a été à l’Ecole des sables.

Au pays de la Teranga, Seush apprend à muer sur un plateau de danse. Il danse pour s’affirmer, s’imposer. « Ça n’était pas facile mais j’ai fait mes preuves, puis on m’a dit « tu es sénégalais », et là j’ai eu envie d’en donner encore plus » se rappelle-t-il. Il évolue alors aux côtés de danseurs et chorégraphes dakarois tels que Cortex et Salifus. Du pays qu’il considère comme un des plus avancés culturellement en Afrique, Seush repartira les reins solides. « Le Sénégal a été pour moi un pays formateur, si tu lui apportes quelque chose, il te le rend », retient celui qui a été reçu par Youssou N’Dour, himself. Il va à l’Ecole des sables de Germaine Acogny, où il apprend plus que danser : « C’est la plus prestigieuse école de danse de l’Afrique de l’Ouest, et il y a différentes nationalités qui viennent là. Il y a donc beaucoup d’échanges. J’ai commencé à réfléchir sur mon identité comorienne via la danse ». Rêveur (« j’adore rêver et c’est pour ça que je suis là »), il lâche : « le fait aussi d’apprendre comment Germaine a réussi à devenir une personnalité forte du Continent grâce à son travail m’a fasciné ». Danser lui fait ensuite traverser un monde plus grand : Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Paris, Bordeaux, Londres, etc.

Massiwa au théâtre Jean Vilar de Suresnes en 2020.

Dans ses pérégrinations, le jeune interprète s’interroge sur le rôle qu’il pourrait jouer dans ses Comores natales : « Je me suis dit que le Sénégal a plein de danseurs et de chorégraphes talentueux. Mais chez moi il y a qui ? ». Le pays ne compte en effet qu’un autre danseur du même calibre : Akeem alias Washko. Bien qu’il soit à Dakar comme à la maison, Seush décide de rentrer à Moroni. Il y fonde sa compagnie, recrutant des danseurs, qu’il se charge de former (en bon « sabliste »), parmi les jeunes de la ville. Ce retour nourrit sa première chorégraphie : L’Expat. Objet mêlant hip-hop, danse contemporaine et tradition locale, programmé en 2020 à la biennale de la danse en Afrique. Seush y explore la difficulté de cerner son pays après des années d’absence. Son projet suivant prolonge le mouvement. Il plonge dans le réel de sa terre de naissance comme « on le ferait d’un asile à ciel ouvert »[1]. Cela donne Soyons fousqu’il porte jusqu’au festival de Suresnes, en France. Sa troisième production, Masiwa, entre à l’Opéra de Paris. Seush se nourrit du désordre, des imprévisibles, des excès, voire des incivilités caractérisant le pays, leur trouve matière à magnifier. « Parce je pense que c’est beau d’être Comorien. Il y a une liberté ici qu’on ne trouve nulle part ailleurs », professe-t-il.

A Moroni, Seush veut faire bouger les choses au-delà de sa propre compagnie. Un crédo difficile face à un milieu artistique, qui a toutes les peines à se structurer. Beaucoup d’artistes passent leur temps à attendre – comme qui attend Godot – l’intervention de l’Etat. Bien que celui-ci les ignore depuis plusieurs décennies. « Les jeunes artistes comoriens devraient arrêter d’attendre. Dieu qui ne descendra pas. Il faut se mettre au boulot », répète-t-il pour dynamiter les faux espoirs.Sur un pan de mur, chez lui, le combattant Seush y a écrit cet adage, qu’il garde sans doute de son passage à l’école coranique : « man idjtahada wadjada »[2]. D’abord une compagnie, puis une école de danse, le chorégraphe continue à structurer son univers. Il tente même de catégoriser les danses traditionnelles de la Grande-Comore dans un livre qu’il vient de publier[3]. Un champ du champ patrimoine que l’on dirait « délaissé » par les chercheurs du pays. Sans aucune prétention scientifique, il se contente d’ordonner pour faire sens.

Seush en répétition avec sa compagnie en janvier à Moroni. Dans son lieu, qui était encore en travaux.

La Tche-Za School, qu’il vient d’ouvrir, prendra six danseurs pour deux années de formation. Il explique la nécessité d’un tel lieu : « Certes, avant on apprenait à travers les échanges des battle. Mais si on veut entrer dans le monde professionnel, et pouvoir intégrer une chorégraphie, un spectacle, il faut avoir les outils, être au fait des codes ». Au programme : « Il y aura de la danse contemporaine et de la danse traditionnelle comorienne. Les élèves seront aussi formés aux techniques du classique et du jazz. Ils en auront besoin, si demain ils doivent collaborer avec des chorégraphes étrangers ». Seush lui-même ne s’empêchera pas de choisir parmi ses élèves des talents à intégrer dans ses créa. Pour l’instant, il espère un certain soulagement dans la pratique de son art avec cette école : « Avant, je devais créer et transmettre en même temps. Aujourd’hui, il y aura des intervenants qui viendront de l’étranger, et bientôt je pourrais consacrer un temps qu’à la création ». Il travaille sur une collaboration avec des chorégraphes de la Réunion, avec la Cie Révolution à Bordeaux et le CND[4] en France.

Sans surprise, le ministère de la culture n’est pas là pour soutenir l’initiative. Mais le chorégraphe fait partie des rares créateurs locaux à se nourrir de défis. « Il faut leur montrer, à ceux qui sont à la tête de ce pays, qu’avec ou sans leur concours, on peut y arriver. Et j’aime bien l’idée de me confronter à quelqu’un, ça me rend plus fort. C’est ça aussi qui m’anime ».  Et de conclure sur un autre enjeu : « Faut pas se mentir, cette école ne me rapportera pas de l’argent. Tout le contraire… »

Fouad Ahamada Tadjiri


[1] La fanfare des fous (2008-09)Soeuf Elbadawi – Cie O Mcezo*. Pièce de théâtre dans laquelle l’auteur-comédien se fonde sur la folie comme d’une « réponse face au délitement des consciences » dans l’archipel.  

[2] Aide-toi et le Ciel t’aidera. 

[3] Les danses traditionnelles des Comores (Ngazidja), éditions Coelacanthe, 2021. 

[4] Centre National de la Danse en France.