Histoire(s) za bahari l’Hindi

Le banc du Castor, situé vers Madagascar, la pointe Rasgara, l’île de la Selle à Ndzuani… Autant de lieux qui ont donné leur nom à des légendes marines aux Comores, à des craintes ancestrales, rendues mythiques, alimentées par la méconnaissance du monde de la mer, comme nous l’explique Mtouzi[1].

Mdjumbi ! Telle est l’appellation comorienne du banc du Castor, dans le canal de Mozambique. La bête noire des voyageurs d’antan. La légende, qui nous vient de loin, dit « qu’en passant à Mdjumbi, il faut lancer une pièce de monnaie à la mer pour implorer l’indulgence des djinns de l’océan et faciliter le passage du boutre ».

Des chansons ont été dédiées à ces traversées légendaires vers Madagascar, alors considérée comme la « métropole » des Comores. C’est dire que l’endroit a marqué l’imaginaire à une époque, où naviguant à vue, les aventuriers de la mer, qui pilotaient les boutres, se faisaient régulièrement piéger par ce banc. Mais ce qui intriguait le plus les voyageurs, c’était la particularité de l’endroit, le seul durant la traversée où la mer laissait subitement entrevoir ses entrailles. L’image des fonds y a sans doute perturbé les marins, qui ont rapporté leurs peurs au lieu d’évoquer une forme d’émerveillement.

Un kwasa sur la plage de Chindini. Il porte le nom de Salim Mlozi (le pêcheur), avec une phrase au-dessus qui signifie « reviens sur tes pas ». Ces légendes naissent, parfois, de la peur de ne plus revenir, qui hante les gens de mer.

Face à la légende restée encore coriace, Mtouzi[2], un spécialiste de la mer, oppose une réalité. « Le Castor est un banc de sable, longeant le canal du Mozambique, à l’approche de Madagascar. L’eau y est peu profonde, donc plus claire, et évidemment plus agitée, comme partout dans les faibles profondeurs. Cela entraîne des turbulences et des scènes de panique pour les non-initiés. Ce qui était le cas de beaucoup de voyageurs de l’époque, qui se trouvaient dans des boutres, naviguant souvent à vue. La légende est quand même demeurée. Et les passagers des bateaux continuent de faire des offrandes pour les esprits de l’océan ou par accoutumance par rapport à ce qui est devenu une tradition ».

Autre légende de mer, qui a la peau dure, dans le pays !« Tsi kusi, tsi kashkazi, tsi mfumontsi, tsi mfumbili, ye bahari kayina shiwari Chindini ». Autrement dit, la mer à Chindini (à l’extrême sud de Ngazidja) est constamment agitée, samedi comme dimanche, pendant la mousson, comme durant le kashkazi. La légende veut qu’à cette pointe du sud de Ngazidja, les eaux profondes engloutissent les navires. Ici, pas de sacrifices, juste des prières et la certitude de vider son estomac. Mtouzi tort le cou à cette croyance. « Si ça bouge à Chindini, c’est que la mer n’y est pas très profonde, justement. Mais à Rasgara, les bateaux doivent négocier la pointe, ils doivent affronter les vents, pour ne pas manquer leur cap vers Ndzuani ou Mwali ». Les turbulences perturbant l’imaginaire des Comoriens sont récurrentes à la pointe sud de Ngazidja.

Shisiwa mbuzi ou île de la Selle à Bimbini

Ce n’est pas le cas, partout. L’île de la Selle, sur la pointe de Bimbini à Ndzuani, tournée vers Mwali, n’est un calvaire que durant la période de kashkazi. A l’époque où l’on naviguait encore à voile dans l’archipel, les bateaux restaient à quai durant toute la saison. Sur la route de Maore, ce sont les navires qui partent du cap de Chiroroni, dans la région de Nyumakele, qui souffrent des humeurs de l’océan et du temps. Mais le cap le plus dangereux est celui de Pointrendré, à l’approche de Wani, vers Mutsamudu. « Il y a eu beaucoup de naufrages à ce niveau, qui est le plus exposé aux vents, en toutes saisons », note Mtouzi.

Le marin n’est pas étonné qu’il y ait moins de légendes à Ndzuani et à Mwali qu’à Ngazidja, malgré des lieux similaires. La raison ? « Dans les deux autres îles, les gens prennent plus la mer que dans la troisième, et connaissent donc mieux le milieu marin ». Cependant, les légendes s’estompent au fil du temps et de l’eau, avec la modernisation des embarcations. Mtouzi regrette que « dans un archipel où l’océan est partout et où la pêche est essentielle, les gens ignorent la mer à ce point ». Entre l’imaginaire et la réalité, se pourrait-il que les Comoriens préfèrent miser leur confiance sur le premier ? Vivre avec la légende plutôt que de se jeter à l’eau une bonne fois pour toute…

Kamal’Eddine Saindou


[1] Article initialement paru dans le journal Kashkazi n°29, du 20/02/2006.

[2] L’homme qui ne veut pas décliner son prénom est l’un des grands marins de l’archipel. Adolescent, il a été scaphandrier au port de Mutsamudu avant de rejoindre le centre nautique de la gendarmerie comorienne, qui a fermé ses portes à Ndzuani au milieu des années 90. Ses certificats de navigation passés à la base de Toulon et au CNG d’Antibes, le surnommé Mtouzi traque l’imaginaire de la mer en essayant de comprendre comment naissent les légendes.

Histoire(s) za bahari l’Hindi veut dire  » histoires de la mer indianocéane « . Ce titre est de Muzdalifa House.