Uropve, canard décalé à thématique unique, continue à relever son défi. Informer le citoyen, en lui donnant le maximum d’infos sur les maux qui le rongent, de manière à ce qu’il puisse, un jour, s’en démettre. Le dernier numéro vient de (re)sonner l’alarme.
Paru à la date du 31 juillet 2021, le 17ème numéro (déjà ! a-t-on envie de s’écrier, au vu de ses 6 années d’existence), s’attaque à la problématique de l’enfance maltraitée. Il y est question de violence et d’éducation, d’ignorance et d’irresponsabilité collective, de gamins de rue et de grands-parents, qui ne tiennent plus vraiment « école » à la maison. Il y est surtout question de parents irresponsables. Un triste portrait que donne à voir l’époque présente. Non pas qu’il ait existé un temps béni dans l’histoire, où il fit bon évoquer son enfance, mais le pays, ces jours-ci, a changé, grandi et mûri dans ses rêves, sans avoir trouvé ce qui lui manque dans l’éducation de ses propres enfants. La multitude parle plus volontiers d’un désastre, où les principaux acteurs jouent à se jeter leur(s) faute(s) à la figure.
Les proches, les voisins, les fundi ou les décideurs, ayant perdu de leur autorité. Un androïd a presque plus de chance auprès de l’esprit agité d’un bébé qu’une berceuse de mamy centenaire au village. Un signe, s’il en est, qui traduit les tendances d’une époque, qui, dès la maison, entraîne l’enfance comorienne dans une spirale, où elle se voit perdre, un à un, ses repères, et son identité. Le temps n’est certainement plus aux discours. C’est qu’on ne compte plus les scandales à la pelle, liés à la violence sur les enfants, ces derniers temps. « Il est un fait indiscutable pour tous, cependant. Sans une action affirmée de l’autorité publique, les choses ne bougeront pas. Il y aura, certes, du bruit autour de la question. Des gens qui hurleront ici ou là, trouvant là l’occasion d’exister aux yeux du nombre et des réseaux. Deux ou trois affaires exhibées en chemin pour montrer que le danger est bien réel. Mais les enjeux s’arrêteront là. D’où l’intérêt de pointer la responsabilité des parents du doigt et de signifier l’absence de politiques offensives, indexant ces violences, souvent intrafamiliales », apprend-on dans l’édito de ce 17ème numéro du journal Uropve.



De l’affaire de la petite Faïna à Mwembwadju à celle de la gendarme à la fillette prétendument disparue, en passant par l’expulsion d’une famille dans un village pour avoir nommé l’irréparable, les affaires de violence sur la petite enfance remontent, lentement, en surface, sans que les réponses apportées au mal causé par quelques-uns ne soient définitives. Les prédateurs trouvent matière à s’échapper ou à échapper à une condamnation sans retour. Dans une société, lit-on, où l’on « pratique le déshonneur à outrance », où l’on « cultive le déni absolu » et où l’on « absout les bourreaux », il y a de quoi sonner le clairon. Mais les larmes de crocodile des faiseurs d’opinion du moment (sur les réseaux sociaux, en général) embrouillent plus qu’ils ne démêlent les situations incriminées. « Marasmes, déni de droits, intimidations, conciliabules, absence de réparation et de prise en charge sont les maîtres mots dès lors que la victime se débat pour réclamer justice »[1].
En Une, Soeuf Elbadawi s’imagine que « la justice d’Etat n’est peut-être pas le seul endroit par où passer pour que tout ça cesse ». Des mécanismes nouveaux sont probablement à trouver pour pallier à l’absence manifeste de justice sur la question dans le pays. Interrogeant les situations à Mayotte et dans le reste de l’archipel, Kamal’Eddine Saindou, qui tacle, au passage, la violence d’Etat, la démission institutionnelle et l’irresponsabilité parentale, constate, amer : « Désemparée, nostalgique d’une soi-disant belle époque, où tout allait mieux, la société digère son propre échec, en s’abritant derrière des remparts de béton pour se préserver d’une délinquance juvénile, qui n’est que la conséquence visible d’une violence qu’elle a elle-même engendrée ». Un texte signé Ahmed Boina rappelle que l’affaire de la petite Faïna n’est qu’un symptôme, parmi d’autres, à l’affiche de cette société malade d’elle-même. « Des meurtres horribles et des violences sexuelles commises sur des enfants ont bouleversé les consciences, ces dernières années, et remis le vivre-ensemble en cause. Paniqués, les parents s’interrogent sur les capacités de la justice à apporter des réponses face à un fléau, qui a toujours existé, bien que souvent dissimulé ».

Lors d’un gungu organisé contre les pratiques pédophiles par les citoyens de la ville de Ntsudjini, il y a 10 ans.
La (sur)médiatisation du phénomène (« avec le développement des réseaux sociaux et des associations de lutte contre les violences faites aux enfants »), fausse, parfois, le débat, donnant l’impression d’une réalité toute récente, presque émergente, alors que le problème, selon lui, est bien plus vieux. « La lourdeur et l’incompétence de la justice face à ces questions génèrent surtout un sentiment généralisé d’impunité. Les auteurs de violences notamment sexuelles, condamnés par la justice, ne purgent pas la totalité de leur peine, voire y échappent, pour plusieurs d’entre eux ». Dans ce dossier d’Uropve, tout y passe. Les viols comme l’éducation à la dure, prônée par les Anciens. Ahmed Boina souligne la ligne de fracture, sous-tendue par la tradition : « La société condamne difficilement ces pratiques, quand elle ne les encourage pas explicite-ment. Dresser son enfant est considéré comme un devoir pour un père ou une mère digne de ce nom. Ceux-ci se justifient souvent, en expliquant qu’ils ont eux-mêmes subi ce genre de violence et que c’est ce qui a permis à leurs parents à eux de mieux les éduquer. Dans la tradition, les châtiments corporels sont, en effet, considérés comme « un droit naturel » par les parents et les maîtres coraniques ».
Les « concernés » – parents et enfants – ne seraient pas toujours au courant de ce qui représente « un acte attentatoire à l’intégrité physique et morale de l’enfant, aujour-d’hui. Un certain niveau de violence serait souvent accepté par les adultes et les enfants eux-mêmes comme mode de socialisation ». Des lois et des chartes ont beau être signés par les autorités, si les « concernés » n’en rendent pas la nécessité, le combat reste vain, alors même que « les violences faites aux enfants ont de graves réper-cussions sur leur développement. Elles nuisent à leur santé, diminuent leur capacité d’apprentissage ». En représailles contre certains actes commis, des citoyens se sont mobilisés. Le recours au gungu, tradition de justice populaire, fait partie de la riposte. Un habitant de Ntsudjini commente ainsi deux histoires de pédophilie, survenues, il y a 10 ans de cela, réglées à coup de gungu : « Combien vont-ils en prison ? Faire condamner devant les tribunaux ne suffit pas, de toutes manières. La justice finit toujours par relâcher ces délinquants. L’idée de ruiner leur réputation [en faisant appel au gungu] pour éviter qu’ils ne recommencent est par contre intéressante, mais peut-être pas comme on en use, en ce moment ».

Lors d’une performance théâtrale, organisée par la compagnie de théâtre O Mcezo* à Mitsudje, avec la jeunesse du village contre les pratiques pédophiles.
Trouvant la société trop permissive, il pointe du doigt sur les familles. « Il faut que les parents comprennent que voler l’innocence d’un gamin est grave. La pédophilie est une pratique ancienne dans notre société. Il fut même un temps, où des anciens la confondaient avec une manière d’apprendre leur sexualité aux plus jeunes. Ce qui explique l’ampleur qu’ont pris ces crimes, ces dernières années, et le laxisme qui va avec (…) les familles finissent par se ranger du côté des criminels. Or, il y a eu trop d’impunité à mon avis ». « Trop d’impunité » est peut-être la thèse – s’il en est une – qui revient le plus dans ce numéro d’Uropve, qui fait un stop rapide à Mayotte, pour rappeler que la violence faite aux enfants de rue y est quasiment revendiquée par les élus et l’Etat. « Dans ce huis-clos qu’est Mayotte – ni vraiment la France, ni vraiment les Comores et zone de non-droit -, la situation des mineurs isolés est un terrible calvaire. Rien ne laisse penser à une amélioration, tant que l’Etat et la société continueront à leur refuser le droit à une existence d’enfant ». Sur cette île sans cesse en rupture de ban, les gamins de rue ramènent plus qu’ailleurs dans l’archipel à la démission des parents, démunis qu’ils sont face à l’ordre établi. Le sens voudrait que l’on oppose l’éducation à la répression pour la sécurité de tous, et au-delà de marchandage politique. Mais les élus pensent d’abord à l’instrumentalisation du discours ambiant, qui ravive des peurs devenues anciennes.
« Des tentatives sont faites depuis un peu moins de dix ans, souligne le journaliste Kamal’Eddine Saindou, pour se débarrasser de ces frêles silhouettes déambulant dans les rues de Mamoudzou, portant l’épitaphe d’une nation qui a échoué à protéger sa progéniture, afin d’assurer son destin. Il y a eu l’idée notamment d’ouvrir un orphelinat de l’autre côté de l’archipel – il y en aurait eu un à Mirontsy – sauf que rien ne dit pourquoi ce serait la partie non-occupée de l’archipel qui devrait accueillir les ratés de la république française à Mayotte. Surtout que la violence associée à cette jeunesse n’existe pour ainsi dire pas de l’autre côté de la rive. A Ndzuani, on parle plus volontiers des petits monstres de Mayotte française ». Ce numéro d’Uropven’omet pas de questionner l’imaginaire, aujourd’hui, transmis à tous les enfants de l’archipel. « Il serait mensonger de croire que tout allait bien, avant la dérégulation. Mais les parents, à une époque, avaient le temps de s’occuper de leurs gosses et ne laissaient nul écran parler en leur nom. L’éducation figurait alors une priorité. Elle n’était ni en déliquescence, ni abandonnée à elle-même. L’école n’apprenait pas à désapprendre son environnement immédiat. Elle offrait un horizon. D’où ces questions : la plus grande violence commise sur les enfants de ce pays n’est-elle pas liée à cette fabrique d’ignorance qu’est soudainement devenue l’école ? Un enfant peut-il se défendre, quand il ne saisit pas la complexité du monde dans lequel il est condamné à vivre ? Sans doute que c’est ce qui explique que certains partent pour ne plus revenir ». Un constat, là aussi, amer, mais peut-on encore dire que tout va bien, quand tout va mal ? Le journal espère ainsi nourrir les débats à venir sur l’enfance oubliée en rapport avec une citoyenneté d’archipel à reconquérir. A lire, absolument !!!
Med
[1] Cf. Moussali, Masiwa n° 36/ Juin 2018: « Un père prend 12 ans pour viols de sa fille et de deux de ses nièces ».Affaire jugée au Tribunal de Melun en France, qui a divisé au sein de la communauté (d’un village comorien en région parisienne).
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