La région d’Itsandra à Ngazidja abrite l’un des récits les plus mouvementés du sultanat aux Comores. Un des monuments les plus visités, construit à l’époque de la résistance contre les razzias malgaches, se trouve à Itsandra Mdjini. Aujourd’hui menacé par la ruine, il figure un certain nombre de questionnements sur le patrimoine, aujourd’hui.
C’est à partir du milieu du 18èmesiècle que les quatre îles de l’archipel des Comores furent victimes de razzias organiséespar des pirates malgaches. Ces incursions affaiblirent les îles et poussèrent les sultans locaux à rechercher la protection des grandes puissances de l’époque : la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Une des conséquences directes de ces incursions est l’érection de remparts de protection dans certaines citées. Une architecture de facture militaire, que l’on retrouve notamment à Fumbuni, dans le sud de Ngazidja _ Une des toutes premières constructions du genre, que l’on remonte au temps du sultan Fumnao.
En dehors de Fumbuni, six villes à Ngazidja vont adopter cette manière de se prémunir de l’adversité. Iconi, Moroni, Ntsudjini, Ntsaweni, Mitsamiouli Mdjini, Itsandra Mdjini. Ces remparts militaires se trouvent presque toutes sur le littoral. Ce qui explique l’effritement, avec le temps, de nombre de ces constructions, rongées par le sel de mer. Certaines disparaissent, menacées par l’avancée du béton et par l’urbanisation massive de ce même littoral. A Itsandra Mdjini, on trouve encore trace de ce qui est communément désigné comme étant le « ngome ». Mieux encore ! On y trouve les restes du Gerezani. Un fort militaire à l’origine, construit en hauteur, pour le rendre moins accessible aux envahisseurs. Seul et unique site de ce type, disposant d’une allée dégagée dans le pays, le Gere – appelons-le ainsi – témoigne de l’ingéniosité des architectes de l’époque.




La salle du haut. Entrée d’une tour de guet. L’un des tours. L’intérieur de la tour de guet.
Une des caractéristiques du Gere ou Gerezani [lire « guéré », et non « géré »] est qu’il ne possède qu’une seule entrée. En s’y engouffrant, l’ennemi savait qu’il ne disposait que d’une seule issue possible. Ce qui rendait le Palais inattaquable par les enva-hisseurs malgaches. Il y avait par ailleurs deux tours de garde de chaque côté, où campaient, jour et nuit, les guetteurs, donnant l’alerte en cas invasion ou d’attaque. Une galerie séparait chaque tour de la salle centrale de regroupement et de conseil, abritant les guerriers et autres guetteurs. Ce genre d’ouvrage nécessitait 7 à 8 ans, rien que pour la construction des remparts. La position du Gerezani offrait une vision stratégique de la cité dans son ensemble au sultan. Elle lui donnait aussi la possibilité de surveiller le large. Le fait que la cité d’Itsandra dans son entièreté était fortifiée dissuadait l’ennemi, quel qu’il soit. La ville d’Itsandra Mdjini n’a jamais, pour ainsi dire, été prise.
Il faut dire que ces remparts ont joué un rôle important dans l’Histoire de l’archipel. Avant leur construction, Ngazidja était divisé en sous-régions. Dans chacune d’entre elles régnait un sultan. « Du coup, il y avait une succession de guerres, vu que chaque sultan voulait étendre son espace d’existence », selon Azali Said Ahmed. Puis vinrent les Malgaches. « Il y eut l’invasion de Fumbuni dans un premier temps. C’est là que le sultan Ntibe Fumnau Wa Kori eut l’idée de construire les remparts pour se protéger. Après Fumbuni, d’autres cités embrassèrent l’idée de Fumnau et se fondèrent sur la solidarité entre elles pour construire les remparts dans le but de se protéger contre l’envahisseur ». De quoi fédérer la population, qui, au lieu de se laisser noyer dans propres querelles, fit alors front contre ceux qui attaquaient l’archipel. Chaque cité fortifiée avait sa particularité. Celle d’Itsandra Mdjini provient des deux remparts érigés – l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur de la cité. Le premier rempart protégeait les riverains, le second protégeait leurs cultures. Les deux commu-niquaient avec le palais. Il n’en fallut pas plus pour que la légende de la cité qui n’avait jamais été pénétré se répande…




Dans la cour intérieure du palais. L’endroit où le gnome a été éventré sur ordre de la ville. Le chemin escarpé qui traverse la grande allée du palais. L’autre côté du ngome éventré et son tapis d’ordures.
Il est un souci, néanmoins. Longtemps vu comme un site à potentiel touristique, le Gere ou Gerezani n’a jamais été préservé du temps et de ses avatars. « Après la période des sultans, il y eut abandon total de ces sites. Puis, il y a eu les effets du temps. Le climat, les intempéries, la montée de la mer… Sans oublier la main de l’homme. A Moroni ou Mitsamiouli, par exemple, il y a eu des démolitions causées par les habitants eux-mêmes » note Azali.A l’image d’autres cités fortifiées de l’archipel, là encore, Itsandra semble avoir eu beaucoup de mal à sauvegarder ce qu’il en reste. Ces vestiges, pourtant si précieux aux yeux des historiens nationaux, n’interpellent que peu dans le débat. Ni association, ni autorité, nul ne trouve les moyens de les préserver. Une campagne de sensibilisation pourrait aider à la prise de conscience. Mais il faudrait peut-être introduirela notion de patrimoine dans les programmes scolaires pour asseoir le discours. Il faudrait aussi pouvoir mobiliser des fonds pour réhabiliter le site. Nouer – et pourquoi pas ? – des relations avec Zanzibar, pour profiter de son expérience en matière de restauration du patrimoine.
Sur le terrain strictement associatif, ils sont un certain nombre à œuvrer avec leurs petits moyens. Aujourd’hui, on parle beaucoup du collectif Patrimoine des Comores. Crée en 2017, présidé par Fatima Boyer, il est engagé sur le front de la resturation du patrimoine, notamment dans la réhabilitation de l’Ujumbe à Mutsamudu. L’association Twamaya, qui mène une action depuis des années à Itsandra Mdjini dans le but notamment de préserver le Gere est en contact avec ce collectif. Avec l’espoir de trouver des moyens d’accompagnement dans leur réfelxion par rapport au site du Gere. Des membres de Patrimoine des Comores, en contact avec une école d’architecture en France, essaient de mobiliser l’opinion en soutien à plusieurs sites, dont le Gere. Il n’y a pas si longtemps, Twamaya, toujours, présentait son plan d’action à l’ambassade de France par rapport au site du Gere. Misant sur la sensibilisation, Twamaya, qui a obtenu des formations à Oman allant dans ce sens, ne ménage pas ses efforts pour rendre le site propore, invitant d’autres associations à agir à ses côtés , sur le terrain.



Les fenêtres de guet, qui donnent vue sur le large. La grande allée du palais.
Les citoyens de la ville, les écoles de la région, sont régulièrement sollicités. Ce qui fait quelque peu oublier l’épisode malheureux du ngome, qui a été éventré en deux, pour offrir un passage, en plein milieu du site.Pour sensibiliser plus de monde, l’association se fonde en partie sur un film réalisé par Dahalani – un ancien du CNDRS – autour des sites patrimoniaux, dont celui du Gere. Mais il est clair que la démarche, là aussi, nécessité des moyens certains. Ce qui limite les envies des membres de Twamaya, selon Azali Said Ahmed et Maoulida Hamidou. Des actions récentes ont été menées par Twamaya, autour, entre autres, d’autres sites comme le Mzishe – lieu emblématique du littoral – dans le but de conscientiser un plus large public au sein de la population d’Itsandra Mdjini. Il faut croire cependant que la dynamique, qui devait aussi s’attaquer au nettoyage de certains fonds marins, n’a pas réussi à entraîner les bonnes volontés jusqu’au site du Gere. Une question de motivation, selon Twamaya.
Mais peut-être faut-il voir là aussi la difficulté avec laquelle les riverains ont dû mal à saisir l’enjeu. Nettoyer, réhabiliter, restaurer les murs du Gerezani, sont un langage qui sonne parfois creux, faute de réflexion aboutie sur la question. Défendre le patrimoine, mais à quels fins ? Pour que l’on puisse réinterroger le passé ? Pour que l’on ramène des bus de touriste dans le coin ? Pour promouvoir le patrimoine bâti de cette cité ? Pas sûr que tout le monde comprenne le sens d’une mobilisation autour du Gerezani, en particulier, et du patrimoine, en général. Ces sites ont eu un sens, un jour, mais il reste à leur trouver des usages, aujourd’hui, correspondant aux attentes de l’époque. Une idée que l’on n’arrive pas à bien expliquer aux générations actuelles. Les professions de foi d’une poignée de militants du patrimoine ne convainquent pas toujours, au sein d’une population que l’économie accule de plus en plus à la survie. Et si ces ruines n’étaient vouées qu’à disparaître ? Et si l’enjeu en ces lieux ne devenait que foncier pour certains habitants d’Itsandra Mdjini ?
Housni Kassim
La photo en Une figure la grande allée du palais.
- * Précision : le choix de nommer « Gere » le palais du Gerezani [lire « guéré »] est inhabituel, mais délibéré chez certains pour rendre le nom du site plus familier.