Le slam comorien se meurt/ vive le slam Comores

A l’occasion de la 3ème édition du festival Slamer un pied sur la lune, Mo Absoir, connu pour avoir été l’un des artisans les plus investis de la scène slam aux Comores, revient sur l’histoire d’un phénomène culturel, qui a concerné plus d’un jeune, de sa naissance à nos jours.

En quelques années seulement, le slam s’est imposé aux Comores, comme l’art qui rassemble le plus de jeunes, et avec l’arrivée d’une nouvelle génération de slameuses et slameurs, celui qui questionne le plus la pratique de la langue shikomori, au niveau des plus jeunes. Pourtant au départ, on était loin d’imaginer le parcours homérique et l’exploit sans pareil qu’il nous réservait. Qui aurait pu dire qu’on en serait là, aujourd’hui, avec autant de figures qui déchirent ou se déchirent à l’avant-scène ? En effet, d’aucuns le considéraient à tort comme un phénomène de mode, dont le public-pays ne tarderait pas à se débarrasser.

Le succès n’est plus à discuter, mais il génère un temps de questionnement. Où en est-t-on des premières batailles menées ? Pourquoi cette impression de tourner en rond, malgré un tas de projets qui s’annoncent ? Alors que se tient la 3ème édition de Slamer un pied sur la lune, le festival initié par Dagenius, du 21 au 25 septembre 2021, que des groupes et des collectifs se constituent un peu partout dans le pays, ponctué par la récente sortie de Msafara (du même Dagenius) – premier album de slam dans le pays -, il semblerait que la pratique s’époumone en conjonctures et postures, sans réelle avancée.  Y a-t-il un avenir qui interpelle ? La question revient, sans cesse, dans les conversations, et en appelle à d’autres sur ce qui nourrit l’utopie de cette scène…

Utopie/ Nous avions un rêve/ Une utopie/ Des idées plein les poches / Ventres vides/ Nous embrassions une cause/ Pouvant guérir/ Les plumes nonchalantes/ Qui scribouillent… Kalima hwenda mbwanani/ Nilo hudja na wushindzi, disions-nous. Mais aussi loin que je me souvienne, nous ne cherchions pas à durer, ni même à répandre le slam dans tout le pays. Nous travaillions juste à exister, avec ce désir de partager nos mots avec un maximum de peuple. Évidemment, ce partage revenait à rendre la pratique accessible. Mais nous n’en faisions pas une guerre, ni d’ambitions, ni de prétentions.

A un moment, nous avons cherché à structurer le mouvement. Nous avons créé un club, pour être plus précis. Je tiens d’ailleurs à remercier Samra Bacar Kassim qui, je pense, à son insu, car nous ne l’avons jamais rencontrée, nous a laissé squatter une partie de sa propriété pour nos premières et nombreuses répétitions. Un espace qui est finalement devenu notre QG, au fil du temps, et ce, avant que l’Alliance Franco-comorienne ou l’Américan Corner ne nous ouvre ses portes. Oui ! Les amis ! Il s’en est passé de ces choses à nos débuts. Et je m’en souviens encore ! Mais nous ne saurons parler du slam comorien, sans revenir sur la genèse de ce premier club : Slameurs de la lune. Existe t-il encore ? Je ne saurais vous répondre, et j’en conviens, c’est quelque peu ironique.

Je vais tout de même vous dire pourquoi nous avons fondé ce club, et pas un groupe ou une association, et comment nous avons été vite dépassé par notre propre vision des choses.  Peut-être – je l’espère, du moins – que revenir en arrière permettra de répondre à une partie des questions que se posent de nombreux acteurs culturels aux Comores à propos de la dynamique du slam à l’heure actuelle dans une large partie du territoire. Pourquoi un club, donc ? On n’avait certes pas cette folie de croire que nous deviendrions indispensables au paysage, mais nous comptions sur notre opiniâtreté pour racoler tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un poète dans les quatre coins de l’île, voire dans le pays.

Mab Elhad, Cheikh Mc et Aboubacar Said Salim ont été les premiers à répondre à l’appel de cette parole libre. Le premier nous a ouvert la porte de sa maison et nous a conseillé. Le second nous a fait bénéficier de notre premier atelier d’écriture. Quant au troisième, il m’a accueilli dans sa classe pour  parler « slam » et y animer des ateliers. Merci à vous, messieurs ! L’Alliance française, ayant tout à gagner, a saisi l’occasion pour nous dérouler un tapis rouge, afin qu’on vienne nourrir son programme _ Ateliers, scènes ouvertes et concerts, attirant du public dans le lieu à chaque fois.  C’est ainsi que les slameurs de la lune ont commencé à briller « de mille vœux !» Une armada de poètes nous a alors rejoint. Et nous sillonnions tout Ngazidja pour parler de slam. Avant que n’arrive cette bonne nouvelle ! Inzlat Mohadji, la première comorienne remportant un concours, organisé par une association réunionnaise – Slamlakour – à Itsandra.

Dans la foulée, je fêtais Le départ au Muzdalifa House, accompagné de Fouad Ahamada Tadjiri à la guitare. Le premier spectacle solo du genre. Avec une partition interrogeant l’obsession du voyage chez les jeunes, et qui, pour une première fois dans ce petit milieu, s’aventurait à tremper la plume dans la langue shikomori. C’est à cette époque que se divisent les Slameurs de la lune – si tant est qu’on puisse parler de division – à la suite d’une sombre histoire où la direction de l’Alliance française nous demandait de renoncer à des textes parlant de Maore/ Mayotte. L’incompréhension entre nous face à un enjeu de court terme – être programmé à la semaine de la francophonie – a joué, mais la dynamique initiée, fort heureusement, ne s’est pas arrêtée.

De jeunes slameurs se sont emparés du flambeau et ont fait tonner une parole nouvelle sur les scènes ouvertes. Art de La Plume, Rahim et Pomwezi ont fait et font claquer les mots, désormais. Une bande de filles qui n’a pas froid aux yeux s’est alors invitée au bal. Intissam, Zamzam, Mahe Mouri et Noussy font ainsi un doigt d’honneur aux braves pionniers. C’est là qu’est apparu le premier opus discographique : Msafara de Dagenius. Les tournées dans des festivals, les recueils de slams et les spectacles, ont fait le reste. La jeunesse prenant une large place sur le bangwe, Mwali et Ndzuani n’ont pas tardé à choper cette obsession d’une parole libre, usant de tous les imaginaires transmis. Du français au comorien, du poète au mbandzi mwendedji ou de Grand Corps Malade à Dafine Midjindze. Un imaginaire issu du Divers et de la complexité.

Puis le temps a passé. J’ai pris l’avion, me suis installé à la Réunion, ait fait le grand saut vers la France, en donnant l’impression de courir après mes muses, encore et encore. Debout sur une scène rendue de plus en plus grande par l’expérience. Entre Paris et la Réunion. On peut dire que je vis de mon slam. Je fais beaucoup de scène. J’anime encore plus d’ateliers qu’auparavant. Mais quid de la suite ? La question revient à chaque fois à la table. Je me dis que je prends mon temps pour retrouver ce désir, qui, jadis, me préservait de la routine. Ce désir de voyager dans les mots, toujours à l’endroit du sensible. Mais je ressens cette peur de n’avoir rien de nouveau à proposer.

J’observe le temps passé avec mes camarades d’hier et d’aujourd’hui. J’émets des avis, je critique, j’interroge. Mais j’ai la sensation de tourner en rond, moi comme certains de mes camarades. Qu’a-t-on encore à raconter sur cette scène slam ? Peut-être que je vais vous surprendre un jour ou que je n’y arriverais jamais, me dis-je. Où peut-être que je ne peux prétendre y arriver seul. Et si on se rassemblait à nouveau comme au tout début de cette histoire ? Pour se renouveler et produire c’putain de nouveau slam comorien que tout le monde attend d’écouter. Être libre ne signifie pas qu’il faille se désunir.

Car c’est là notre plus grand souci. Azhar, co fondateur du collectif Art de la plume, partage même impression : « Il me semble tout d’abord qu’il s’agit d’une question d’égo. Ce qui fait que nous avons du mal à travailler les uns avec les autres. Chacun se croit meilleur. Pourtant, il faudrait que les slameurs s’unissent pour faire avancer la discipline ». Il questionne la responsabilité des slameurs eux-mêmes : « Peu de slameurs se disent qu’ils font du slam pour devenir artiste, en faire un métier. C’est plutôt un passe-temps, de la frime ». Noussy, elle, insiste sur le trop-plein d’ego : « On n’évolue pas car on a tous l’impression d’avoir atteint notre apogée. Mon avis ne fera pas l’unanimité mais je crois que ce qui nous empêche d’avancer est d’abord le fait que dès qu’on arrive à écrire un texte et à le déclamer, on pense ne plus avoir besoin des autres. Ensuite, il y’a le fait qu’on n’aime pas la critique. Il faut comprendre aussi que souvent les gens critiquent dans le but de décourager. Le comorien réagit mal face aux critiques, mais aussi permettre à l’autre de faire mieux en le corrigeant c’est lui donner l’occasion de nous voler la vedette ».

Moi, je me rappelle qu’à nos débuts, nous nous lancions des défis sur un thème. Ensuite, on écrivait et on se corrigeait les fautes d’orthographe et Dieu sait qu’il y en avait, et également la diction, ainsi que la posture. Nous n’avions ni honte ni peur devant les camarades. Selon Rahim – le Parolier du Karthala – on n’aura beau faire des festivals, créer des collectifs et faire des scènes à ne plus en finir, tant que le slam comorien manquera d’encadrement et de repères, nous n’avancerons pas. Selon lui, et malgré tout le bruit que l’on fait, chacun tire de son côté. Il y a un manque réel de rencontres entre les slameurs. Les ateliers et les scènes ouvertes nous permettraient d’échanger et de grandir ensemble. Le slam comorien est finalement pour beaucoup un effet de mode, mais il ne relève pas de l’art. Il fait ce constat amer : « Wandru ngwa tsongo udunga malingo bahi ».

Mo Absoir