Né à Mirontsy à la fin des années 60 sur l’île d’Anjouan, Saindoune Ben Ali a grandi sur les Itinéraires des Rêves. C’est ainsi qu’il se présente dans son premier texte publié, Testaments de transhumance. Un verbe d’une rare puissance en pays de lune. Feuilles de feux de brousse et Malmémoires, ses deux derniers, sont parus, respectivement, chez Bilk & Soul et Komedit, en 2012 et 2013[1].
Testaments de transhumance de Saindoune Ben Ali parait aux éditions Grand Océan à la Réunion en 1995. Il sera réédité par KomEdit en 2004. L’œuvre marque un tournant dans ce paysage littéraire, ne serait-ce que par l’absurdité d’un début de préface, annonçant la mort d’un auteur, encore vivant. « Saindoune Ben Ali est quant à lui mort en 1978, y lit-on, piétiné par une foule carnavalesque dans les rues de son île natale, à l’annonce du coup d’Etat qui mit fin à la vie d’Ali Soilihi ».
Au-delà du caractère innovant et symbolique de ce long poème d’archipel, le poète réussit d’emblée à confondre sa légende littéraire naissante avec le destin d’une nation entière. Les Comoriens s’accordent à dire qu’avec Ali Soilih leur pays ne serait peut-être pas devenue terre de désespérance. Pourtant, paradoxe des paradoxes, c’est bien son assassinat par les mercenaires qui fut accueilli avec des scènes de liesse populaire. Ce sur quoi insiste l’auteur : « Nos joies ont/ l’ambiguïté d’une pourriture inodore/ D’un côté les mosquées incendiées/ d’extase/ d’un autre les mudiria pris/d’assaut par les lyncheurs ».



Saindoune Ben Ali avec des élèves à Nyumadzaha, écrivant au tableau lors d’une rencontre au lycée de Mutsamudu.
Avec ce livre, Saindoune Ben Ali se refuse à restituer le réel, telle une simple photographie. Ils nomment un lieu, une géographie, les Comores. Le verbe dans sa justesse et son authenticité redonne corps et âme à une réalité concrète. Contrairement à la référence soilihiste dont s’embarrasse le texte, le poète dépositaire du legs, s’inscrit dans une nécessaire transhumance. Dans un déferlement de mots et d’images, le poète ausculte l’esprit mortifère d’un peuple. Ses outrances. Ses apparences défaites. Sa longue et lente déshumanisation.
Le poète nous éclabousse : « Un âne passe/ le comorien salue/ tête baissée/ aux braiments répondent/ nos applaudissements ». Saindoune Ben Ali dans un onirisme prophétique dévance les oracles et les mages. Il dévoile avec une splendeur effrayante, un drame qui, en 1995, n’a pas encore de nom, celui des kwasa : « frères retors qui fuyez votre ombre/ je n’ai pas vos noms/sur les barques que les pêcheurs disent reconnaitre à leur allure de tempête/ la brume a mangé vos visage ».
La mémoire occultée, celle détachée des registres officiels, est une obsession chez Saindoune Ben Ali. L’élément historique, poussé dans ses retranchements, est re-questionné. Le poème jette un pont entre la rumeur du passé et l’actualité oppressante : « l’histoire t’indiffère/ la légende davantage : Salomon/ fit, dit-on, des Lunes une prison/ pour hideuses créatures/ Allah y substitua des joyeux ogres ». Le poème devient vie. Avec Testament de Transhumance se profile un nouvel horizon en littérature comorienne.
Anssoufouddine Mohamed
[1] Article initialement écrit pour le magazine Al-Watwan de décembre 2013.