C’est plus d’une centaine de recettes, réunies dans un opus titré Cuisine des îles Comores (2021)[1]. Une parution posthume de Mariama Mahamoud Ali, qui vient combler un vide, au sujet de la cuisine comorienne.
Longtemps, les femmes comoriennes ont cuisiné pour les autres, sous forme de commande. Des mains de fées, mêlant génie et générosité, dans des plats destinés aux mariages, anniversaires et autres festivités. Leur cuisine finissait sur une table où, souvent, l’on pouvait tout ignorer d’elles. Elles restaient dans l’ombre des vieilles cuisines, tandis qu’à table les hommes appréciaient. Cette époque semble laisser doucement la place à d’autres usages, où cuisiner devient un art que l’on cherche à imposer, sous les lumières du monde. Dans l’espace virtuel des réseaux, des photographes mettent en scène des assiettes, soigneusement concoctées, et des groupes d’amis s’y créent, pour échanger recettes et conseils. En dehors, de plus en plus de restaurants dressent fièrement leurs menus, habillés aux couleurs nationales. On ne va plus au restau pour manger du steak, plutôt un bon ntibe ou du mhogo wa nazi.
Le gout du pays prend les devants. Une visibilité naissante à laquelle on peut rajouter la parution de Cuisine des îles Comores. Un livre qui vient « combler un vide en matière d’ouvrages culinaires comoriens »[2]. Comme pour souligner une urgence, le livre s’ouvre sur cette phrase : « La cuisine fait partie intégrante du patrimoine culturel d’un pays. Sachons préserver la nôtre ! », écrivent, dans l’avant-propos, les filles de l’auteure. L’une des deux, Fayda Cheikh, développe : « Elle [Mariama Mahamoud, l’auteure] a souligné dans le livre que la transmission de la cuisine comorienne est basée sur la tradition orale. L’inconvénient est qu’elle peut facilement se perdre et elle ne s’adapte pas forcément aux modes de vie actuels […] la cuisine comorienne était auparavant préparée de manière traditionnelle. C’est pour cela qu’elle a souhaité proposer des mesures adaptées à une petite famille, tout en utilisant des ustensiles de cuisine moderne ». L’auteure procède en catégorisant les recettes et informe sur les moments « sociologiques » auxquels elles sont liées. On y trouve de tout : condiments, entrées, plats principaux, accompagnements, plats sucrés, plats complets ou encore boissons. De quoi mettre l’eau à la bouche…

Mariama Mahamoud.
On se rend – surtout – compte de la diversité qui nourrit la cuisine comorienne. Des influences du monde, qui sont assumées dans le livre : « De par son histoire, la cuisine comorienne a une origine très diverse », rappelle Fayda Cheikh. Mais de la touche locale naît la singularité : « les plats ont été adaptés aux ingrédients locaux ». S’il a fallu attendre 2021 pour voir paraître ce livre, sa genèse, elle, ne date pas d’hier. L’auteure « a commencé à travailler sur ce projet en 1987, environ un an après son retour en France. C’est dans un carnet noir qu’elle a commencé à écrire les premières recettes et qu’elle a gardé précieusement durant toutes ces années. Elle avait aussi un autre cahier vert, qui contient plusieurs recettes, venant des 4 coins du monde. Jusqu’à aujourd’hui, toute la famille s’en sert. Nous avons tous hérité d’un beau trésor ». Mais comment expliquer que le livre ait pris autant d’années avant de voir le jour ? « A cause des différents aléas de la vie, le travail, la famille… La priorité pour elle [l’auteure toujours] était de prendre soin de nous. Du coup, son projet de livre est resté en standby pendant plusieurs années. C’est à son retour en France, en 2011, pour des traitements, qu’elle a repris le projet pour le finaliser », explique Fayda Cheikh.
Née à Diégo-Suarez en 1954, d’un père comorien et d’une mère malgache, Mariama Mahamoud Ali semble avoir développé par la cuisine un lien fort avec l’archipel et sa famille paternelle. « Elle a été une passionnée de cuisine depuis son plus jeune âge, raconte sa fille, c’est sa grand-mère paternelle, ses tantes et son père, qui lui ont fait découvrir la cuisine comorienne ». Une histoire d’époque, sans doute, où la passion – à l’exception de la musique ( ?) – ne pouvait devenir une profession. Il fallait avoir un « vrai » métier. Mariama Mahamoud a donc effectué des études supérieures à l’Université de Bordeaux III. Elle est rentrée aux Comores en 1985 et a enseigné la géographie au lycée Said Mohamed Cheikh, ainsi qu’à l’Ecole Fundi Abdülhamid.



Gudugudu, mhogo wa nazi, nkuhu.
Décédée avant la parution du livre, ses enfants ont cru en l’urgence et en la nécessité de défendre son travail. « Notre mère, avant son décès, avait signé un contrat avec une maison d’édition. Mais celle-ci n’a pas donné suite. C’est à partir de là que ma sœur, mon frère et moi avons pris les choses en main. Le plus gros du travail a été fait par elle. Nous nous sommes chargés ensuite de tester les recettes, de la relecture, des corrections, du choix des photos et de toute la promotion ». Un travail photographique vient magnifier l’objet et donner encore plus envie d’enfiler le tablier. « Nous avons deux grands photographes dans la famille. Le choix s’est dont fait naturellement. Kanayakine, qui est le frère de notre mère, a pris la majorité des photos des plats. Notre tante, aux Comores, préparait les plats et lui les prenait en photo. Ensuite, pour la couverture, nous avons fait appel à Maoni Corner », lui aussi de la famille. « Pour les quelques photos qui nous manquaient, nous avons demandé à un blogueur culinaire comorien – Sahhanny – l’autorisation d’utiliser quelques-unes de ses magnifiques photos, des plats qu’il prépare et capture lui-même ».
En hommage à l’auteure et à son talent, son amie Moinaecha Cheikh Yahaya, professeur de linguistique à l’Université des Comores et chercheure au CNDRS, écrit : « Mariama Mahamoud […] était ma référence, en matière de bonne cuisine comorienne. Elle savait manipuler les produits. Produire des saveurs originales et inoubliables. Et elle me suggérait toujours les bons plans […] elle m’avait aussi confié qu’elle donnait des cours de cuisine à domicile et cuisinait pour les autres sur commande »[3]. Le livre est assorti d’un site internet que Fayda Cheikh défend en ces termes : « L’objectif du livre est de promouvoir la cuisine comorienne, et étant donné que nous vivons actuellement dans l’ère du digital, il est important d’accompagner le livre d’un site internet. Il s’agit pour l’instant d’un support de promotion, mais il sera amené à évoluer, afin de proposer plus de contenus liés à la culture et à la cuisine comorienne ».
Fouad Ahamada Tadjiri
[1] Publishroom Factory.
[2] Lit-on sur le site internet Cuisine des îles Comores.
[3] Dans le livre.