Retrouver la trace, c’est raconter le pays, en réinterrogeant la mémoire. On parle cependant beaucoup des sultans et des malgaches. On parle peu des fameuses portes dites de la paix, et pourtant, elles aussi, rendent compte d’un pan d’histoire de l’archipel. Petit clin d’œil[1].
Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, les principales villes de l’archipel ont essuyé le feu croisé des sultans, qui rivalisaient pour le trône, et des malgaches, qui lançaient régulièrement des expéditions sur les quatre îles. Pour résister à ce déluge de feu, ces villes se sont fortifiées et ont dressé des remparts, dont on aperçoit encore aujourd’hui les vestiges.
Cette architecture dite de défense a émerveillé bien des visiteurs. Dans un ouvrage sur les Comores (1870), Gevrey rapporte le récit de voyage des premiers administrateurs français en visite pour la première fois en 1844 sur l’île de Ngazidja. La ville (Moroni) est entourée de murs haut d’environ 10 pieds (environ 3 m), « flanquées de tours carrées, basses, étroites, qui ne peuvent donner passage qu’à des piétons ».
On connaît moins l’histoire des portes. Deux portes de la paix en Grande-Comore étaient les plus connues à l’origine. Fuu la Salama à Fumbuni et Goba la Salama à Kwambani, au centre-est de l’île. De là à conclure que l’Inya Fwambaya, qui régnait sur l’Itsandra et le Washili, et l’Inya Mdombozi, qui avait élu son empire sur le Mbadjini, étaient deux lignées belliqueuses, il n’y a qu’un pas vite franchi, quand on sait que ces portes de la paix « marquaient le point de départ des expéditions guerrières lancées par les sultans ».

Iconi, Ngazidja.
Edifiées vers le XVème siècle par les familles régnantes des sultanats – qui ont remplacé les premières structures sociopolitiques des chefferies – les portes de la paix se rapprochent, sur le plan architectural, et particulièrement par la nature des matériaux utilisés, des monuments qu’on retrouve sur la côte orientale de l’Afrique et à Madagascar. Dans leurs ouvrages sur l’archéologie des Comores, Pierre Vérin et Henri Wright, ont merveilleusement décrit la plus célèbre de ces portes : Fuu la Salama de Fumbuni.
« La porte se dresse dans le quartier de Badjananai, près de la tombe de Saïd Houssein. Haute de 1m6 et large de 84 cm à la base, elle est surmontée d’une arche cissoïde. Le sommet du monument se termine par trois bosses de corail décorés d’un motif floral à entrelacs et en bandeau que l’on retrouve aussi de part et d’autre de l’intérieur de l’arche, là où la porte se resserre pour se cintrer ». Verin ajoute que le corail est également utilisé en moulures pour souligner les limites de l’arche et de son fronton.
La porte monumentale de Kwambani – Goba la Salama – est bâtie en tuf rouge volcanique. Située sur le bangwe de Shangani, entre la mosquée et le dar’aya yezi (le palais), elle se termine par des blocs de corail sur sa partie sommitale : « des creux laissent deviner l’ancien emplacement des bosses ou des bols en céramique sur les tympans de l’arche ».

Dans une ruelle à Moroni, au siècle passé.
La porte de Ntsudjini est en revanche directement creusée dans la partie sud-ouest de la muraille, entourant la ville. Edifiée au XIXème siècle, lors des invasions malgaches, la forteresse porte en plusieurs endroits des inscriptions religieuses, ainsi que le sceau de Salomon, présent dans les mosquées et sur les portes des palais des sultans.
Le sceau de Salomon est une formule magique, composée de 7 signes, représentant le centième nom caché de Dieu. La légende l’attribue au roi Salomon, dont le pouvoir conversait, possiblement, avec le monde des djinns. Le mythe des djinns, qui ont fondé l’archipel, a longtemps été utilisé par les sultans, pour asseoir leurs pouvoirs et symboliser leur puissance.
Ainsi, les lignées Matswa Pirusa et Inya Fwambaya, dont le pouvoir s’est exercé sur l’île de la Grande Comore sont, selon Damir Ben Ali, les descendants du mariage d’Abdallah Ben Wezir, un arabe musulman, avec Mshile, une femme-djinn _ La légende rapporte que ce couple s’installa à Rehemani, un village de la côte Est de l’île et eût plusieurs enfants.
Kamal’Eddine Saindou
La photo en Une figure une porte de la paix à Mitsamihuli.
[1] Texte initialement écrit pour Le Tambour (n°1).