Artiste et pas amuseur public

Entretien avec Chihabidine Abdallah, directeur de Studio 1[1]. A l’époque, la structure était à l’apogée de son existence. L’occasion de revenir sur les principes de base, qui font qu’une scène prend son envol ou non.

Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la production musicale comorienne ?

Il faut reconnaître que pendant un certain moment il y a eu une nette évolution. Au niveau des orchestres traditionnels, beaucoup ont vu le jour et ont enregistré un réel progrès musical. Désormais, ces orchestres tiennent de véritables concerts, autres que dans le cadre des festivités du mariage traditionnel. Certains d’entre eux ont sorti un ou deux albums, ont réussi à les vendre au pays et au sein de la communauté comorienne à l’étranger.

Pendant ce temps, la musique moderne a franchi le cap international. On a vu Salim au MASA, Maalesh remporter le prix Afrique-Océan Indien des « Découvertes ». Sambeco, Ninga et Boina Riziki, Ngaya et d’autres, ont fait des tournées en France, dans l’Océan indien, en Afrique de l’Est. Djimbo est plutôt bien apprécié dans certaines villes d’Europe. Dans ces pays et régions, une demande de musique comorienne commence à se faire jour.

Il y a aussi le fait que le Comorien commence à être fier de sa musique…

Tout à fait. La grande majorité des albums des artistes comoriens ont été vendus aux Comores. Quant on pense qu’il y a seulement huit ans, il n’y avait aucune production musicale comorienne, on mesure le chemin parcouru en si peu de temps.

Manifestement, ce n’est pas encore assez. Quelque chose bloque-t-il quelque part ?

D’abord, il  y a l’environnement même de l’artiste aux Comores. Jusqu’ici le métier des arts n’est pas entré dans les mentalités. Pour la grande majorité des Comoriens, un musicien ce n’est ni plus, ni moins qu’un amuseur public.

Salim Ali Amir, un des artistes promus par Studio 1.

Il y a aussi des facteurs plus objectifs. Par exemple, l’absence de structures de productions, de salles de spectacles…

Vous avez parfaitement raison. Il faut signaler également qu’il n’y a pas non plus de statuts pour l’artiste. C’est pourquoi je suis persuadé que la priorité est dans l’organisation du métier d’artiste. Un musicien, un auteur, doit pouvoir s’occuper uniquement de la création. Il faut des managers qui prennent en charge sa carrière. Cela libère l’inspiration. Ensuite, les artistes doivent bosser beaucoup plus leur matière.

Malgré les succès rencontrés en dehors de ses frontières, la musique comorienne est toujours marginale. Nos musiciens sont rarement dans les médias étrangers. Pour mériter une place plus importante, nous devons être plus créatifs et originaux. Nous devons faire un plus grand travail de recherche, mettre un terme au sectarisme qui existe entre les artistes eux-mêmes, en nous associant chaque fois que c’est indispensable. En bref, je dirais que nous devrons être plus professionnels.

En tant que maison de production et d’enregistrement, le studio que vous dirigez a un rôle à jouer…

Absolument. Actuellement, nous mettons à la disposition des chanteurs et musiciens un outil performant, qui leur permet de se vendre et d’apprécier leur travail. Nous offrons une technicité qui n’existait pas. Les artistes peuvent, avec des coûts tout à fait convenables, organiser de bons concerts devant de grands publics. De même, nous assurons un travail indispensable de conseils. Nous recevons beaucoup d’artistes, qui veulent s’informer sur le matériel qu’il leur faut, sur les possibilités de s’exporter, sur l’activité mondiale. Enfin, nous servons de boîte aux lettres pour une bonne partie de groupes qui veulent entrer en contact avec l’étranger ou dans l’autre sens quand c’est l’étranger qui veut entrer en contact avec eux.

Rencontre entre Abdallah Chihabidine, directeur de Studio 1, et Damir Ben Ali, à l’époque directeur du CNDRS.

Avez-vous les moyens de jouer ce rôle ?

En tous cas, nous faisons tout pour être à la hauteur. Studio 1 est une structure connue à l’étranger. La maison a su tisser des relations solides et utiles avec des hommes du métier et des institutions, en Afrique, en Europe et aux USA. Elle figure sur le fichier international des producteurs et des studios d’enregistrement, sur certains sites internet connus sur la musique ou tout simplement sur les Comores.

Qu’est-ce qui manque aux artistes comoriens pour être « vendables » ?

En fait, il faut savoir se vendre. J’ai déjà dit qu’il fallait travailler plus et mieux. Bosser en pro.

Précisément…

Il faut avoir une musique originale. Avoir des maquettes bien faites, disposer d’un press-book. Avec cela, vous attirez l’attention des producteurs, des éventuels sponsors et autres organisateurs de manifestations musicales à l’étranger. Je conseillerais aux artistes d’avoir une adresse fixe connue et surtout de se doter d’une structure légère. Trois à quatre personnes suffisent pour tourner Un tel groupe est beaucoup plus facile à déplacer qu’un grand orchestre de dix musiciens ou plus.

Vous pensez qu’on ne peut plus compter, raisonnablement, sur des producteurs comoriens ?

Je pense, honnêtement, qu’il n’y a pas encore chez nous de gens riches qui croient vraiment ne la musique, qui soient persuadés qu’ils peuvent entrer dans leurs frais, en finançant un chanteur ou un musicien. Je crois, malheureusement, qu’à l’heure actuelle, nos artistes auraient plus de chance à l’étranger. C’est dommage, mais c’est aussi une réalité. Vous allez me dire qu’il y a Studio 1. Sans doute. Mais comme vous savez, nous ne sommes pas une structure subventionnée. Nos moyens, actuels en tous cas, ne nous permettent pas de soutenir utilement un artiste. Ce qui est sûr, par contre, c’est que c’est  dans nos objectifs. Nous sommes en train de voir comment rassembler ces moyens, qui nous permettent de jouer pleinement notre rôle. Pour le moment, ils ne nous permettent que de faire de la coproduction d’albums ou encore de concerts. Ce que nous faisons.

Madjuwani


[1] Pour le magazine culturel Simbo (n°2/ février 1998).