Fatima Boina Abdallah, Ramlata Hassan Ahamada, Sitty Chadia Soilih, Sitty Sagaf et Zahara Toihib ont en commun leur combat pour l’amélioration de la condition féminine aux Comores. Chacune à sa manière : Djamila est une villageoise combative, oratrice redoutable lors des campagnes électorales ; Ramlata, sage-femme, se bat au sein de son syndicat et de son association de bienfaisance ; Sitti Shadia Soilih, Sitty Sagaf et Zahara Toihib font partie des piliers du réseau associatif féminin. Elles parlent des femmes et de la politique, un thème qui a pris une grande part dans les discussions. Preuve que bien des femmes en ont assez de suivre la voie des hommes[1].
Comment vous définiriez le statut de la femme comorienne dans la société ?
Siti Batoul Oussein : Si elle est éduquée et si on applique le Code de la famille, ça va. La société est montée de façon à protéger les femmes, mais il ne faut pas que ça devienne un étouffement. En général, les Comoriens et Comoriennes pensent que la situation de la femme n’est pas déplorable. Elles ont accès à l’éducation, possèdent leur maison… on dit qu’on exagère quand on parle de problèmes. Dans le contexte légal et politique il n’y a pas de différence. Il faut aller en profondeur pour voir ces différences.
Djamila : Dans le temps passé, la femme n’avait pas le droit de parler. Les hommes ont pris cette habitude et maintenant qu’on veut changer ces choses là, ça prendra du temps. Enfin, le peu qu’on a, on ne l’avait pas avant : des directrices, même une ou deux ministres. Mais pourquoi quand un homme a une licence, il peut accéder à un poste qu’une femme avec un doctorat a du mal à occuper ?
Zahara Toihib : Pourtant dans la tradition, la femme a le pouvoir. Dans l’éducation aussi. C’est pour ça que si nos enfants gardent le même comportement que notre génération et celles d’avant, c’est que nous avons échoué quelque part.
Quel type de comportement ?
Sitty Sagaf : On a tendance à oublier l’importance de la vie sociale, politique. On n’a pas les mêmes soucis que les hommes. Notre premier souci, ce sont les enfants. Les femmes vont plus aux réunions de parents d’élèves. Les femmes s’occupent d’abord des enfants et du mari. Même nous qui nous considérons comme émancipées, on travaille trois fois plus que nos maris.

Sitti Sagaf.
Z.T : On veut absolument que le mari ne manque de rien, on est des « bonnes femmes » ! On ne réalise pas…
Shadia Soilihi : Il y a un problème d’éducation. J’ai l’impression qu’on refait les mêmes erreurs que la génération précédente à partir de l’éducation. Dès que tu es prête à accoucher, tu déménages, tu vas chez ta mère. L’homme n’a pas l’impression de servir à quelque chose. Alors quand il s’agira d’éduquer l’enfant…
S. Sagaf : Encore, ça pouvait passer dans ma génération. Mais même chez les jeunes, quand le bébé naît, la femme va dans une autre chambre que le mari…
Djamila : Pourquoi les hommes ne s’occupent pas des enfants quand ils divorcent ? Moi-même j’ai vécu ça. J’avais 5 enfants quand mon mari m’a laissée. Le petit avait 15 mois, le plus grand était au CP1. Je les ai élevés jusqu’à maintenant. Heureusement j’ai des frères pêcheurs, ma mère allait vendre le poisson et on a pu vivre comme ça. Les autorités doivent s’en occuper, la justice doit faire son travail.
Comment changer ça ?
S.B.O : C’est une question d’éducation. Il faut que l’homme sache que quand il rentre du travail, la femme est dans la même situation que lui. Pour la femme qui travaille, la tenue du foyer à elle seule est une surcharge. Ça frustre, on peut comprendre que la femme soit plus vulnérable par rapport au stress… il faut penser à l’équilibre au niveau des responsabilités.

Sitti Batoul Oussein.
S. Sagaf : Plus une femme travaille, plus elle donne à sa fille. Il faudrait que les femmes aient plus d’autonomie. Il faut aussi valoriser le travail domestique que font nos sœurs, nos mamans. Si les hommes sont sur la place publique, c’est grâce aux femmes.
S.B.O : Je pense que les militantes devraient d’avantage axer leur discours sur le fait que la femme donne naissance. C’est cela qui constitue la différence fondamentale, à l’origine de toutes les limites dans l’accès à l’éducation, aux ressources, à la politique. C’est cela aussi qui fait qu’on lui donne la maison. L’organisation de la communauté se fait autour de la fonction reproductrice. Il faudrait réfléchir par rapport à ça. Ce n’est pas quand la femme ira s’asseoir place Badjanani qu’elle aura le pouvoir !
Djamila : Dans d’autres pays où l’homme et la femme s’entraident, ils cherchent ensemble la maison. Ici, si un mari a construit sa maison et qu’il est seul avec sa femme, il va peut-être l’aider un petit peu. Mais la plupart du temps, il va dans la maison de sa femme. Elle a ses sœurs, ses cousines. Il ne va pas travailler si ce n’est pas sa maison ! ça, c’est surtout à Ngazidja, car à Ndzuani la famille est moins élargie.
Ramlata Hassan Ahamada : Pour qu’il y ait une révolution, il faut éduquer nos enfants autrement. Mes fils, je vais les faire travailler eux aussi à la maison.
Djamila : Tu peux dire ça maintenant, et parce que tu habites dans une maison à part. Mais moi dans mon quartier où les maisons sont toutes serrées, si j’avais élevé mes enfants comme ça, j’aurais eu honte, toutes les voisines seraient venues et auraient dit : « Ces femmes ne travaillent pas, elles font travailler le mari ! » Je n’ai pas pu faire laver les assiettes à mes garçons car il y avait leurs sœurs. C’est la coutume. La petite fille reste à la maison, il faut toujours qu’elle ait quelque chose à faire car si elle sort, c’est mal vu. Tandis que le garçon ce n’est pas gênant s’il est dehors. Il peut aller chercher des fagots, du poisson. Mais pas les choses ménagères à l’intérieur.

Zahara Toihib.
Comme c’est comme ça chez nous, qu’on a l’habitude, on trouve que c’est bien. Ne dites pas dans le journal que je trouve que ce n’est pas normal, sinon on va dire à Iconi : « Djamila veut que les hommes fassent le ménage ! » Et je serai coincée.
Mais comment les femmes peuvent-elles devenir ministres ou directrices si les hommes ne les aident pas à la maison ?
Djamila : Elles prennent des femmes de ménage !
R.H.A : Je me demande quand même, est-ce qu’en travaillant comme on le fait, en allant à des réunions, on ne fait pas échec à nos mœurs et coutumes ? Est-ce qu’il ne faudrait pas aménager nos horaires ? Je trouve que j’ai peu de contacts avec mes enfants, j’ai parfois l’impression de ne pas les élever comme il faut.
Z.T : Ça, ce sont des séquelles de notre éducation. Tout comme on ne veut pas que notre mari râle parce qu’il mange en retard. Mais on peut très bien élever nos enfants en travaillant et en militant.
S. Sagaf : Il faut prendre le temps d’aménager sa vie. Il faut habituer le mari petit à petit, en allant à des réunions, de temps en temps.
La politique est-elle le moyen d’améliorer le statut des femmes ?
Z.T : La politique, c’est quelque chose de très complexe. Si tu es dans un parti, tu défends certaines idées. Quand on est allées voir une ministre femme, elle nous a dit : « Je ne suis pas là pour représenter les femmes. » Il faudrait qu’on puisse dire que telle femme y va pour nous. Mais le problème pour l’instant, c’est que pour avoir une certaine position politique, c’est l’homme qui doit t’amener. Il y a de plus en plus de scolarisation des filles, de moins en moins de mariages précoces, mais c’est peut-être politiquement qu’on a échoué. Il nous manque l’audace de s’impliquer, politiquement.
Propos recueillis par Lisa Giachino
Image en Une : jeunes femmes de l’Université des Comores au théâtre à l’Alliance française.
[1] Entretien croisé paru dans le numéro de Kashkazi de février 2006.