Un écrivain qui prête le flanc pour se faire damner par les siens. Fahoudine Ahamada Mze n’a rien inventé. Il s’inscrit dans une lignée d’auteurs, qui, pour se démarquer, vont donner l’occasion au lecteur de s’indigner ouvertement, en portant certaines interrogations dans l’espace public[1].
Il est des entrées en la matière plus ou moins bien réussies. Celle de Fahoudine Ahamada Mzé ne l’est peut-être pas, mais elle a au moins cet avantage de faire voler les certitudes du milieu des lettrés comoriens en éclats… et bien plus encore. Il suffit de fréquenter les quelques sites web consacrant leurs pages aux deux premiers opus – L’honneur des lâches et La Secte de la virginité – du jeune Comorien pour s’en persuader. Les insultes entre Mahorais et Comoriens des autres îles y pleuvent en nombre incalculable.
L’aventure de La Secte de la virginité – son dernier opus–démarre dans les couloirs de la cité phocéenne dans les années 2000. C’est l’histoire de M’daza, une jeune comorienne, forcée de se marier à un homme qui pourrait être son grand-père pour plaire aux parents. Cela se passe durant les années lycées dans les quartiers nord. L’auteur murmure, rumine son roman à longueur de conversations philosophiques autour de ce que devront être les Comores de ses rêves. Un pays affranchi, libéré de ses vieux démons sanguinaires, des ogres assoiffés d’hémoglobine, venant de jeunes comoriennes.
L’ouvrage devait dynamiter le phallus de ces démoniaques pédophiles. Dire aux Comoriens le mal-être de ces jeunes filles à qui l’on vole impunément l’innocence : « J’ai voulu écrire un livre le plus éloigné de moi en tant qu’individu mais l’écriture est un acte narcissique alors j’ai écrit sur ma honte d’être un homme dans cette époque qui aliène une partie de l’humanité », explique l’auteur, lorsqu’on l’interroge sur la finalité de son projet. Un ouvrage qui parait chez Kwanzaa Éditions, une énième structure dans le paysage foisonnant de l’édition comorienne.

Fahoudine Ahamada Mze.
Mais l’auteur et coéditeur de l’ouvrage a ses raisons : « Cela fait très longtemps que La secte est finie. J’attendais de trouver la maison d’édition qui aurait une ligne éditoriale qui ne soit pas trop en décalage avec ma conception de la littérature. Avant Kwanzaa Éditions, je n’avais qu’un seul critère : je voulais parler à la communauté comorienne et je trouve ridicule de prétendre parler à la communauté comorienne en publiant dans des maisons d’édition françaises. Je ne voulais pas faire comme tous ces prétendus écrivains comoriens qui écrivent sur les Comoriens, en s’adressant à d’autres. C’est l’écriture des méprisants »
Et Fahoudine de poursuivre : « J’ai pour objectif de faire une littérature de la déconstruction qui passe par une destruction idéologique, politique, sociale et psychologique car comme disait Sartre dans sa préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre : « Nous ne devenons ce que nous sommes que par la négation intime et radicale de ce qu’on a fait de nous. » Ainsi, selon Fahoudine, « cette distance qu’on me reproche me permet d’écrire sur des sujets que d’autres ne veulent pas aborder de peur de trop s’impliquer ou de trop perdre : je n’ai rien à perdre. Le jour où j’ai eu le malheur de prendre Salim Hatubou comme exemple dans un développement, ils me sont tous tombés dessus, c’était pire que d’insulter le Prophète ».
La Secte… n’est que le premier opus d’un triptyque en gestation, intitulé l’Écho mort. Fahoudine projette ainsi de publier L’Enfant Meuble et La Prostitution en héritage chez le même éditeur. Une manière pour lui, après des années de rumination, de proposer un plaidoyer pour une « vraie littérature comorienne ». « La Secte de la Virginité ce n’est pas seulement un roman sur l’inceste », dit-il. « C’est aussi une manière de rendre publique la secte pour que le débat naisse et qu’in fine, on mette fin à ces pratiques. Car on peut être engagé dans la fiction, mais je pense qu’on ne peut plus écrire seul et isolé dans sa tour d’ivoire. L’écrivain est inscrit dans la société et ne peut s’en détacher ».
Soeuf Elbadawi
[1] Article paru dans le Kashkazi n°63 de mai 2007.