« Cela ne pourra pas se faire en un clin d’oeil ». Interdire ou réformer, les avis divergent selon les jeunes interrogés[1].
Il y a les jusqu’au-boutistes, comme Antuf, la vingtaine. « Il faut arrêter le grand-mariage, ça sert à rien sauf à dépenser tout l’argent qu’on a ». Les radicaux prêts à faire quelques concessions, dont Aturia, étudiante à Dakar : « On doit interdire certaines pratiques, limiter les dépenses. » Et puis, il y a les réformistes, partisans d’un changement en douceur, à l’image de Chipinda, étudiante, elle, à Moroni : « Je suis d’accord pour changer certaines choses, mais cela ne se fera pas en un clin d’œil. » Si les avis sur la méthode divergent, tous les jeunes interrogés s’accordent pour dire que oui, il faut réformer le grand-mariage, surtout en ce qui concerne son aspect économique. Et ils ne sont pas les seuls.
L’historien Damir Ben Ali, connu pour bien maîtriser la question, l’écrit depuis des années. Une partie des notables eux-mêmes sont conscients de ce besoin de changement. A Moroni, ce sont eux, qui, il y a 3 ans, ont imposé certaines règles visant à limiter les dépenses. A Mitsudjé, au sud de Ngazidja, ce sont les jeunes, au contraire, qui ont dicté des nouvelles règles. Comme l’indique Chipinda, « C’est une réflexion qui concerne tout le monde, du Président au simple citoyen ». Mais, ajoute-t-elle, « c’est avant tout aux notables de lancer le débat ». Non, c’est aux jeunes de changer les choses, répond en substance Antuf. Pour lui, « les notables ne feront rien puisqu’ils font partie du système. Pourquoi ils réformeraient quelque chose qu’ils contribuent à faire perdurer ». Or pour lui, la seule chose à faire, c’est « de l’arrêter ». « Tous les jeunes de mon quartier (Volovolo, ndlr) sont d’accord », assure-t-il. « Nous, on le fera pas. L’argent nous servira à autre chose ».

L’or, l’or, l’or…
Dans son ouvrage, Le pouvoir de l’honneur, Sultan Chouzour analyse ainsi cette contestation : « (Elle) revêt deux aspects principaux. Le premier est une remise en cause superficielle des coutumes dont on dénonce avant tout le coût exorbitant de certaines cérémonies. Le deuxième, plus radical, récuse les fondements de tout le système. » Aturia, si elle avoue qu’il ne faut pas l’interdire, se réfère à l’action menée par Ali Soilihi. « Lui, il avait compris que le grand-mariage n’était pas bon pour l’économie comorienne ; il a voulu le changer en profondeur, et il avait raison ». « Sauf qu’il a échoué… Oui, c’est vrai », répond-elle, « mais je pense qu’aujourd’hui, si on avait de bons communicants aux Comores, on pourrait faire comprendre à la population que ça serait une bonne chose ». Armia pense pour sa part que « les Comoriens savent tout ça ». Pas besoin donc de leur dire. « On ne pourra pas changer ça du jour au lendemain », enchaîne Chipinda. « La société n’évolue pas comme ça. D’ailleurs, ce n’est pas bon quand elle évolue trop vite. Non, c’est à nous, les jeunes, de faire changer les choses naturellement, tout en continuant à suivre cette coutume, car c’est notre culture. »
Comment voient-elles le grand mariage dans 30 ans ? Moins d’or, moins d’argent, moins d’importations, espèrent-elles aussi. « A condition qu’on impose des choses » reprend Aturia.

Historien et anthropologue, Damir Ben Ali, a étudié la question.
Que faudrait-il changer, à vos yeux ?
Les jeunes interrogés ont tous la même réponse : limiter les dépenses.On peut faire des réformes pour limiter les dépenses, c’est ce que nous avons tenté de faire il y a trois ans à Moroni. Nous avons limité le nombre de souverains (8g d’or, ndlr) offerts à 50 contre 100 habituellement. Mais en trois ans, il y a eu trois fois plus de mariages qu’en 10 ans… Cela n’a pas eu l’effet recherché car cela a rajeuni les mariés. Mais en effet, il y a trop d’argent dépensé.
Limiter les dépenses n’est donc pas une bonne réforme ?
Si ! Mais pour moi, la réforme prioritaire, c’est l’interdiction d’importer certains produits, comme les jus de fruits, par exemple, mais aussi les chaussures, les draps, tout ce que l’on peut fabriquer ici, et ainsi pousser à la production locale. Cela réduirait le chômage et cela nous permettrait de garder les devises ici, aux Comores, au lieu de les envoyer à Dubaï. C’est pour moi la priorité, car ces importations sont un réel appauvrissement, financier d’abord, parce que l’argent des Comoriens profite à d’autres ; intellectuel ensuite, parce que cela tue la créativité artisanale, artistique… Mais cette réforme sera plus difficile à mettre en place que de limiter les dépenses, car cela doit être fait au niveau national. Or le grand mariage est une décision de village…
Ali Soilihi a essayé de réformer le grand-mariage d’une manière radicale, ça n’a pas marché. Saïd Mohamed Cheick a essayé la méthode plus douce, ça n’a pas marché.

Shungu sha Mwali sur le Pangahari.
N’est-ce pas une mission impossible ?
Non, c’est possible. Mais ce n’est pas simple. Le grand-mariage est une institution profondément ancrée dans la société. Il doit évoluer, et il évolue, mais il faut maîtriser cette évolution, sans la bouleverser. Il faut être radical sans être jusqu’au-boutiste.
Des personnes estiment que ce n’est pas à l’Etat de s’occuper de cette question, que le mariage relève de la sphère du privé…
Le grand-mariage est une institution publique de la vie sociale. L’Etat devrait être concerné par cette question.
Qui peut changer les choses : les « grands mariés » eux-mêmes ou ceux qui s’opposent au grand-mariage ?
Les deux. Pour une question importante comme celle-là, les « grands mariés » doivent prendre une décision, mais il faut que les autres l’acceptent.
Propos recueillis par Rémi Carayol
[1] Articles parus dans le numéro 2 de Kashkazi le 18 août 2005.
MAORE DERIVE VERS LE ANDA, selon Nassuf Djailani. « Impossible à chiffrer ». C’est ce qui ressort de toutes les bouches des personnes interrogées sur le coût moyen d’un mariage à Maore. Mais tout demême, il y en a qui se risquent à lâcher quelques bribes de chiffres. 30.000 euros, lance une dame qui est en train de marier son fils en Petite-Terre. « Non, moins que ça ! C’est trop cher, moi je dirais 15.000 euros et encore », rétorque un jeune couple mixte-mahorais et métropolitain – qui n’a pas encore franchi la porte du grand-mariage.
A Maore, le mariage a connu une véritable « révolution ». Ou plutôt un bouleversement dans son côté faste. Jusqu’ici tout le monde s’accordait à dire qu’elle était la moins onéreuse de tout l’archipel. Mais aujourd’hui, à la lumière de ce qui se fait ailleurs, le coût d’un mariage à Maore varie selon les villages. Que ce soit dans les villages parlant malgache ou mahorais, « les dépenses sont différentes, les festivités sont différentes. En Petite-Terre, où la population est majoritairement d’origine comorienne, les dépenses sont beaucoup plus importantes, parce que les familles veulent faire un mélange de toutes les festivités possibles et imaginables qui existent dans leur île d’origine ».
Présenté comme le socle de la société, « le mariage est fêté aujourd’hui avec faste pour rassurer les parents », confie Zaina A., fraîchement mariée. Mais le danger, c’est la tendance à l’excès. « Les nouveaux mariés veulent tellement montrer qu’ils sont les meilleurs défenseurs de la tradition qu’ils vont jusqu’à mélanger les trois festivités pratiquées en Grande Comore, à Anjouan et à Mohéli », explique Danial B. Du coup, dans un mariage en Petite-Terre, on retrouve pêle-mêle, un twarab spécifique à Ngazidja, un tari typiquement anjouanais, un mbiwi, particularité de Maore. Fait rare, ces dernières années, la tendance chez les jeunes mariés à vouloir adopter le mode vestimentaire mzungu. « Une robe de mariée digne de ce nom, va chercher vers les 800 euros », confie Zaina. L’envie de paraître, l’étalage du faste gagnent du terrain (Kashkazi n°3, août 2005).