Zaïnou artiste dévoué

Artiste plasticien, Zainoudine El Abidine Ali Mohamed, plus connu sous le nom de Zaïnou, a tout de l’artiste émergent, aujourd’hui. Parcours atypique, singularité esthétique, discours patriotique. Son écriture épouse les contours d’une société en crise. Son œuvre questionne le politique et s’attaque au social. Entretien.

Arts plastiques. Pourquoi ce choix ?

Je peux dire sans exagérer que ce sont les arts plastiques qui m’ont choisi. Honnêtement, je n’ai pas choisi d’être artiste-plasticien. Depuis ma naissance, j’apprécie tout ce qui est artistique. C’est un don. Il fallait juste l’exploiter. Heureusement, j’avais la personne qu’il fallait.

Qui ?

Mon père était architecte dans le bâtiment. Il est d’ailleurs l’ingénieur de plusieurs mosquées de vendredi comme celle de Mde, de Ntsudjini, pour ne citer que celles-ci.  Dès qu’il a découvert mes aptitudes, il a pris l’initiative de me soutenir. Sans hésitation. Depuis l’enfance, et jusqu’à ce que le bon Dieu décide de prendre sa vie. Grâce à lui, j’ai pu cheminer et grandir dans ce domaine. Maintenant, je suis fier de moi-même. Je lui dédie toutes mes créations.

De quoi parlent vos créations ?

Très souvent, je fais des tableaux qui pointent la politique du doigt. Questionnant son évolution depuis la date de son indépendance – 06 juillet 1975 – jusqu’à nos jours. De ce fait, j’ai créé une série de tableaux de certains présidents. J’ai aussi réalisé des expositions portant un regard sur la vie sociale. En tant qu’artiste, parler de la réalité de mon pays me semble un devoir.

Commentez-nous trois de vos œuvres.

Il y a ce tableau – « ma patrie » – qui reflète le calvaire des jeunes. Le désespoir qui les submerge. Beaucoup d’entre eux confient leurs vies à la mer, espérant sortir vivants, pour embrasser l’eldorado, empocher le jackpot. Cette situation me ronge. Ma création est une façon de tirer la sonnette d’alarme. Pour lancer un message fort à cette jeunesse, lui dire que l’avenir de cette nation ne dépend que de nous. Mabadiliho ndasi wasi en langue-pays. Il nous faut retrousser nos manches pour hisser haut notre drapeau. La calligraphe en arabe sur le tableau signifie que « je suis prêt à me sacrifier pour ma patrie ».

Pour ce qui est de la seconde œuvre, il s’agit dune sculpture de 60×20×20 cm, intitulée « cœur endormi.» C’est un bilan de cette dernière décennie. Une période rude, secouée par de nombreuses agressions sexuelles, faites sur les mineurs, filles et garçons. Ce qui est désagréable, c’est de voir circuler librement les coupables, parce que la justice classe leurs dossiers sans suite. Cette situation m’écœure et me rappelle le titre Justice de Tiken Jah Fakoly. Cet ornement autour dénonce la nonchalance et l’apathie des magistrats. Un cœur endormi pour dire que ces juges ont des roches à la place du cœur, d’où l’expression « wafu ze roho » en shikomori. Combien faut-il de morts pour que la balance de la machine judiciaire soit équilibrée ? C’est la question qu’on se pose sans cesse.

Trois oeuvres de Zaïnou, à travers lesquels il scrute l’âme de l’archipel.

La troisième œuvre, intitulée Mlezi – « éducatrice » – est un hommage rendu à la femme, qui, après plusieurs années de labeur, arrive à se démarquer, à s’inscrire dans la modernité. C’est pour moi une façon de la soutenir et de l’encourager. De blâmer l’ingratitude à son encontre, de reconnaître et de respecter ses efforts.

Votre parcours…

Je n’ai pas eu la chance d’obtenir le bac. Mais cela ne m’a pas empêché d’aller étudier les arts plastiques et la sculpture pendant cinq ans à l’étranger, avant de revenir au pays en 2010. J’ai connu des débuts difficiles. Tout le monde se moquait de moi, à cause de ma formation. J’ai chômé durant un an. C’est à partir de l’an 2011 que toute ma famille commence à croire en mes projets. Depuis, je me suis lancé dans la création, à la recherche de mon identité artistique. A cette époque, je ne connaissais que l’Alliance française de Moroni. C’était pour moi le seul lieu culturel de Ngazidja. Donc, je m’y suis présenté avec un projet, qui, malheureusement, a été rejeté par le directeur de l’époque. Il ne manquait jamais l’occasion de me montrer son désintérêt. Sa réaction a renforcé ma volonté de vouloir affirmer mes compétences artistiques.

Après des semaines de recherche, je suis tombé sur un ange – Madame Hissane Guy Charles, gérante de la galerie Cad’art – qui m’a donné  un coup de pouce. Depuis, je me suis accroché. Lors de la foire Made in Comoros au Palais du peuple, Hakim Moindjié[1] et moi avions exposé le projet Croisement des plumes, écrit par l’artiste Seda[2]. Ce dernier nous accompagnait, lors de notre exposition à Cad’art galerie. J’ai ensuite participé à plusieurs manifestations artistiques, telles que le FACC (Festival d’arts contemporains des Comores) ou l’expo Msuko coiffe de Seda. Cette présentation a tracé mon chemin sur l’artepovera[3]. A partir de cette expérience, les déchets me sont devenus une source d’inspiration.

Quelle relation entretenez-vous avec votre ou vos publics ?

Mon public fait partie de moi. Je sais et suis convaincu que je peux avoir le talent des grands plasticiens tels Picasso, mais sans ce vaillant public, je ne serais pas devenu un artiste aussi dévoué…

Avez-vous déjà effectué des résidences en dehors des Comores ?

En tant qu’artiste multidisciplinaire, j’ai participé à plusieurs résidences artistiques, en dehors des Comores, à l’exemple de la réalisation des films d’animations (2D), lors du festival international des films africains à Luxor en Egypte. En 2013 et en 2016. J’ai pris part au Partage International Artist Workshop en 2017 à Maurice, au Forum des jeunes du Monde arabe au Koweït, au Symposium de sculpture, lors du forum international des jeunes, World Youth Forum, à Sharm El Cheikh, en Egypte. C’était en 2019.

Des oeuvres, dont un portrait regroupé de chefs d’Etat, dans lequel Ali Soilihi, le père de la révolution comorienne, apparaît aux côtés du Che.

Qu’est-ce qui distingue votre travail des autres plasticiens comoriens ?

Certains artistes perçoivent cet art autrement, comme s’il s’agissait d’une passion, si je puis me permettre. Moi, je le prends comme une source de revenus. Il s’agit de mon travail.

Vous vous essayez aussi à la sculpture ?

A part la peinture, je fais de la sculpture sur bois. Ces derniers temps (2022), j’ai eu beaucoup de commandes d’objets d’art sculptés. Actuellement, j’ai des commandes à finir et à livrer. Environs 95% de ces œuvres sont de la sculpture en bois.         

Vous avez créé votre propre galerie : Zaïn’Arts Créations. Est-ce que cela contribue à une meilleure visibilité ?

Bien sûr. Je suis fier. Mes clients et mon public avaient soif de découvrir ma façon de travailler. Cet espace à Mde a renforcé mes liens avec eux. Il est devenu un lieu de rencontre, de partage, qui permet de faire reconnaître mon travail.

Quelle vision donneriez-vous de l’évolution de votre pratique dans le pays ?   

Je suis un peu déçu des résultats du milieu durant ces dix dernières années. Beaucoup d’artistes sont partis vivre à l’extérieur. Ceux qui sont restés connaissent une légère évolution, à cause de leurs finances. Et même si (parfois) on a l’argent, on obtient difficilement un matériel sophistiqué pour les créations. Cela ne favorise pas l’épanouissement de cet art.

Propos recueillis par Ansoir Ahmed Abdou


[1] Un artiste calligraphe d’origine.

[2] Artiste comorien des arts plastiques.

[3] Recyclage.