L’épopée du Groupe Sy

On connaît l’histoire de Mamadou Sy aux Comores. Sénégalais, conseiller juridique du président Abdallah, à la fin des années 1970. On connaît moins bien l’histoire de ses enfants, fondateurs, pourtant, d’un des groupes les plus mythiques de la capitale comorienne, au milieu des années 1980. D’abord surnomé Groupe Sy, puis Ylang-Ylang

C’est à la « Petite Coulée », au nord de la capitale que vit Mamadou Sy, alors conseiller juridique du président Abdallah. Le Sénégalais est au service de la coopération entre les Comores et le Sénégal, dès la fin des années 1970. A ses côtés, se trouvent ses enfants, Boubacar, Sada, Masamba et Ibrahim. Ils font leur scolarité à Moroni, où ils tissent des amitiés autour de la musique. Ils montent le Groupe Sy, dont le nom – malgré la rareté des archives – n’a pas tout à fait disparu des mémoires. Une belle aventure, qui prend racine dans l’archipel, avant de se poursuivre quelques temps en France. Elle commence par l’histoire d’une guitare, appartenant à l’ainé des quatre fils : Boubacar. Il en joue avec un copain, Ali Mavuna, alias Baurtel. La présence de l’instrument chez les Sy court les rumeurs et ameute une bande d’ados chez les Sénégalais. Mikidache (Prix découverte RFI en 1999) est le premier à s’y rendre. « Il fallait que je profite des guitares, je n’en avais pas ». Comme prétexte, il dit vouloir y donner un cours de soutien scolaire : « J’étais le premier à l’école et fort en maths ».

Chez les Sy, Mikidache passe des équations sur papier au déchiffrage des intervalles et des gammes : « Quand j’ai vu les guitares, je me suis dit, j’allais y passer mon temps, désormais ». M. Sy le remarque : « Il voyait un enfant, tu sais, avec une éducation correcte, très gentil, et qui progressait vite à la guitare, et là à mon avis, ça lui a fait un déclic, il s’est dit pourquoi ne pas créer un groupe avec moi et ses enfants. C’est comme ça que ça a commencé ». Youssouf Ibrahim (huissier de justice, aujourd’hui) évoque à son tour ses premiers pas dans le groupe : « On s’est retrouvés dans le même quartier. Nous étions de la même promotion à l’école. Moi, Mikidache et Masamba. Nous étions donc amis. Chez M. Sy, il y avait une guitare sèche. Elle appartenait aux aînés. Ils étaient en classe de terminale, je pense. Alors que nous étions au collège. Je pense que nous sommes en 82 ou 83. Nous prenions de temps en temps la guitare et monsieur Sy a vu que nous étions intéressés par la musique ». Les deux s’accordent pour attribuer un rôle de catalyseur à Sy.

Ce dernier soumet – à ses enfants et à leurs amis – l’idée de monter un groupe. « Au début, on ne le prenait pas au sérieux, alors que dans sa tête c’était très sérieux », confie Mikidache. Toujours est-il qu’ils acceptent de se lancer, sauf Boubacar _ rapport sans doute à l’âge. Sy les pousse au travail. Le groupe est-il, pour lui, une allégorie de la coopération Comores-Sénégal ? Une symbolique possible. Il tente même de familiariser les jeunes au son électrique, comme pour les préparer à quelque chose de plus grand. Il les fait sortir du cocon familial. « C’était auprès du groupe Ngaya que nous touchions pour la première fois à des instruments électriques, à Magudju. Dans le club d’Adina. C’est là qu’il y avait la salle de répét. de Ngaya. On touchait aussi à des instruments électriques avec les Atomes à Ntsudjini », se remémore Youssouf. Pendant qu’ils se font la main, un autre œuvre à leur côté pour la création d’un répertoire : Baurtel – le copain de Boubacar. Il écrit, arrange. Il joue un rôle de pilier que souligne Youssouf : « Pour écrire les chansons, nous avions des thèmes, et là, Baurtel nous aidait. « Mwenda Kalaha Yedja kandjilwa », le texte, c’était lui. Avec lui, on entrait dans un atelier d’écriture. Seul Mikidache pouvait écrire ses propres chansons. Comme « Ushe », il l’avait écrite lui-même ».

Mamadou Sy. Le groupe Sy en promo…

Né à Madagascar d’un père comorien, Baurtel arrive à la Grande Comores dans l’agitation des seventies. Il vit à Bandamadji la Domba, y fréquente les orchestres de twarab. « Un jour son père lui a envoyé une guitare sèche. Baurtel passait alors son temps à en jouer. Après quoi, il s’est vite fait remarquer pour son doigté et ses facilités en arrangement », confie Ahamada Tadjiri qui l’a fréquenté. Et de poursuivre « Mais son handicap [il était pied bot] le mettait toujours en difficulté. Un jour, il a quitté Bandamadji et n’y est jamais retourné ». Baurtel s’installe à Moroni, au quartier Sanfili. « Il traînait au Tennis Club vers le Cœlacanthe, où il y avait les enfants des coopérants, il aimait bien ce milieu-là. Donc, il a sympathisé avec les Boubacar et je pense que M. Sy l’a bien accueilli et l’a même conseillé par rapport à son handicap, pour ses opérations. Mais Baurtel était pas mal doué à la guitare, il relevait pas mal de choses », relate,cette fois, Mikidache qui cherche encore à cerner le personnage : « Je pense que c’est quelqu’un qui a été un peu délaissé par ses parents. Il était très intelligent et aimait bien la langue française ».

Baurtel en coulisses, les minots font leur apparition sous les spotlights : Sada au clavier, Masamba à la guitare solo, Ibou à la basse, Mikidache à la rythmique et au chant, Youssouf aux percussions et au chant. Mais il manque un batteur. « Ignace, qui venait à la maison avec Justice, s’est mis à la batterie. Il était plus âgé que nous, mais il était de petite taille. A l’époque il n’y avait pas encore Moustoifa Idarousse ». La team fait son show, en se mirant derrière la légende des Jackson Five et des frères Marley. « Tous les matins, on se réveillait on allait répéter dans le salon. M. Sy est partie très rapidement acheter le matériel à Paris avec Baurtel, tous les instruments. D’ailleurs, quand tout est arrivé, les gens se sont dit « mais c’est impossible, mais qu’est ce qui se passe ? », sourit Mikidache. Youssouf se rappelle d’un détail : « Même Ibou, le plus jeune, avait une guitare basse à sa taille ». Radio Comores les enregistre et diffuse leurs titres. « La première chanson à avoir le concours Vanille, organisé par Radio Comores, c’était Ushe et c’était la toute première du groupe Sy », précise Mikidache. Dans le répertoire, il y avait, entre autres, Gune et Mashababi.

Radio Comores joue beaucoup ce dernier titre, où l’on entend la voix de Youssouf évoquer la jeunesse et son génie au service de la nation : « Mashababi leo narihime/ ritsanganyihe rikena fikira ndzima/ nkonyo ndzima ritowe wunayi / harumwa yezisiwa zahatru piya […] nari waniye ye ntsi yahatru / riwonese wo uhodari wahatru ». L’indépendance du pays interroge durant ces années 1980, le morceau fait écho aux débats du moment. Le groupe entame une tournée dans l’archipel. « On est parti faire le tour des îles, Mohéli et Ndzuani », se souvientYoussouf. Mikidache raconte le concert de Domoni : « Comme Sy était proche d’Ahmed Abdallah, il nous avait fait créé un son qui s’appelle Gune, qui parlait d’Abdallah et de l’amitié entre le Sénégal et les Comores. Donc à Domoni, chez Abdallah, quand j’ai commencé à chanter ce morceau, au moment où j’ai prononcé le nom d’Ahmed Abdallah, j’étais inondé de billets et de anfu[1]. A Anjouan et à Mohéli, l’accueil était hallucinant ». Ce voyage était un prélude à un autre, d’envergure. « Avant que l’on parte en France, M. Sy voulait que l’on se forge une réputation, il avait une stratégie d’attaque ! C’est pour ça qu’il a acheté le matériel, on s’est préparé, on a monté le répertoire et on ne faisait pas que de la musique, on faisait des poèmes, de la danse. On restait dans l’éducatif. Comme quoi la culture, c’est quelque chose de plus vaste, et non juste gratter la guitare. Vu qu’il avait le bras long, c’était quand même le conseiller juridique du président Ahmed Abdallah, il a pu organiser une tournée ».

Youssouf Ibrahim, devenu huissier. Mikidache, prix Découvertes RFI 1999.

Sy est persuadé qu’une bonne organisation permettra aux jeunes de voyager sans que leur scolarité n’en patisse. Il convainc les parents. « Il est parti voir mes parents pour leur expliquer le projet et se porter garant, raconte Mikidache alors en 3ème, il voulait faire de la musique un truc professionnel, et non juste pour s’amuser. Même si la musique ne fonctionnait pas, il s’engageait à faire de moi quelqu’un. Ma mère ne voulait pas, mon père, lui, a compris et m’a laissé partir avec le Groupe Sy, et là, c’était parti quoi ! » Chez Youssouf, c’est moins évident : « M. Sy est venu avec le projet d’un voyage en France, pour entrer en studio d’enregistrement. Mes parents ont refusé que je parte pour de la musique », raconte l’huissier, en paix depuis avec cette décision. Son absence durant le voyage perturbe l’harmonie du groupe. Un incident les met par ailleurs en difficulté. Ignace est soupçonné de vol d’instruments. Mikidache revient sur ce moment : « Comme moi, Ignace dormait sur place. M. Sy nous a réuni, panique à bord, il a dit « écoutez, vous allez partir bientôt et il y a un problème parce que du matériel a été volé, le matériel que j’ai acheté pour vous ». Accusé, « Ignace s’est retrouvé, d’un coup, sur le carreau, mais t’imagine, il devait partir en France, il n’est pas venu, malgré son talent ». Il est remplacé par Moustoifa Idarousse, beau-frère de Sy, qui s’ést mis à la batterie. D’aucuns croient encore en l’innocence d’Ignace à Moroni et parlent d’une machination bien huilée.

Quant au voyage, Mikidache raconte : « M. Sy avait tout assuré. Sa femme Allaouia est arrivée en avance pour préparer notre arrivée. On était à Valenton où M. Sy à loué une maison. Il avait un contrat avec un producteur, qui était vers La Villette. On allait là-bas pour répéter. C’est là qu’on a sorti « Je veux ». A l’époque, on appelait ça un maxi 45 tours. Le titre phare c’était « Je veux », les producteurs l’ont voulu en français. Le deuxième titre, c’était « Récréation », et là on chatait en comorien. Et après, il fallait en faire la promo, donc on est partis en Guadeloupe, etc. L’occasion de rencontrer pas mal d’artistes à l’époque, comme Alpha Blondy ». Le groupe se rebaptise Ylang-Ylang, pour ramener à son identité archipélique. Il se produit de scène en scène, avant de s’essouffler au bout de deux années en France. « Allaouia faisait plein de choses pour que ça continue, mais c’était pas son boulot de manager, et c’est là que M. Sy a décidé qu’il fallait revenir passer le bac, aux Comores ». A Moroni, le magistrat engage des profs en privé : « Il disait que les cours, c’était une question d’organisation, et que tu peux faire tout le programme en peu de temps, tout dépend de ton organisation. On est arrivés comme des extraterrestres, on était dans le showbiz… Mais on dormait avec des cassettes de cours dans les oreilles, et on a eu le bac en 1989 ».

Et l’histoire s’arrêtera là, sans retour. Pour le groupe, la dynamique et les folies. Moustoifa Idarousse, Ignace et Mikidache, poursuivront néanmoins leur parcours, après cet épisode du groupe Sy. Mikidache, qui aura la carrière la plus aboutie, repartira en France, s’inscrira à la fac, à Aix-en-Provence. Il bossera un temps dans la restauration, puis sortira son premier album : Kauli/Words (Long Distance). En 1999, il sera consacré par les Découvertes RFI. Son camarade, Youssouf, quant à lui, étudiera le droit à Madagascar, et travaillera – comme Sy – dans le juridique. Il gardera une guitare chez lui, et de temps en temps, surprendra ses proches par ses impros. Mamadou Sy vit actuellement au Sénégal, où il occupe un siège au Conseil Constitutionnel. Survit encore dans la mémoire le nom de ce mélomane, qui rêvait de voir ses enfants devenir artistes…

Fouad Ahamada Tadjiri


En Une, l’EP « Je veux ».

[1] Collier de fleurs.