Histoire de clown en conquête. Histoire d’un jeune comédien, qui n’a pas choisi le plus simple des personnages, pour faire son chemin. Histoire de Djamaldine Toybou, qui rêve de surprendre le petit monde du théâtre dans son archipel d’origine.
Il a d’abord été acteur au sein de Numbamba[1]. Le temps de se faire les dents. C’est avec cette troupe de Singani qu’il prendra part à une formation de clown, assurée par Emilie et Louis, deux clowns rêveurs, débarqués de l’île de la Réunion. Dans le cadre d’un programme initié par le Croissant-Rouge Comorien et la Croix-Rouge Française en pleine épidémie de choléra. Le but était de former des clowns capables d’assurer une sensibilisation au niveau du territoire. Lui y prend goût. « De temps en temps, je faisais des scènes en cachète, avec mon collègue Abasse Kasouine, dans des localités comme Milembeni[2] ou Bandamadji[3], loin de la nôtre, pour éviter la panique dans la troupe, parce que nous avions choisi une démarche artistique décalée de celle de Noumbamba. En gros, c’est cette formation qui m’a ouvert les portes du clown ».
Actuellement, il en joue sérieusement pour secouer les usages du monde théâtral dans l’archipel. « Pour ramener quelque chose de nouveau, qui ne soit pas du théâtre classique ». Trop de comédiens s’appliquent à honorer les planches de la façon la plus convenue. « Mon but est de devenir une référence du clown aux Comores. C’est aussi une façon de montrer le monde qu’on peut inventer, en faisant du clown ». Il cite Saint Bastian, qui, ému, s’exclame : « J’ai jamais pensé qu’ici, il y avait quelqu’un qui savait jongler ou cracher du feu ». Maintenant, les gens sont au courant. « Je peux ne pas être le plus talentueux, mais, je suis le seul qui le fait ici, en ce moment » dit-il. Sa source d’inspiration ? « Je préfère ne pas la citer. J’écarte tous les modèles pour éviter le copié-collé. Ma référence est juste une source de motivation. Je me dis : « un tel clown a un public, une notoriété. Et, pourquoi pas moi ? » Les références existent bien évidemment – « C’est automatique » – mais il insiste : « Je les garde secrètes ».



Djamaldine Toybou alias le « Clown Bavard ».
Ce qui est sûr, c’est qu’il lui a fallu trouver un nom à son clown, un jour. Avec un comparse, Azhar Ahmed[4], ils en ont choisi un pour son premier spectacle à l’American Corner[5]. Le collectif Art 2 la plume[6] y assurait la programmation culturelle depuis 2012, en organisant des scènes libres de slam, afin de promouvoir cet art naissant au grand public. Art 2 la plume y conviait nombre d’artistes, issus d’autres formes d’expressions à ses côtés. Le groupe musical d’Abdallah GP, Ahmed Cheick et son trio, Papa Loté ou encore le plasticien Zainou. Djamaldine faisait partie du lot. « Il me fallait un nom pour l’affiche ». Il eut l’idée du « Clown Bavard ». « Je l’ai proposé à Azhar. Le clown est un art principalement mimique, alors qu’à l’accoutumée mon écriture mêle mimes et mots. Azhar m’a dit : « ça fait artistique. Un clown qui bavarde, c’est un parfait oxymore. » Il est donc monté sur scène avec « clown bavard ». « Le 16 septembre de cette même année, on a officialisé le nom, lors du deuxième spectacle à l’Alliance française ».
Au départ, le public ne suit pas. « Il n’a pas accepté mon art au début. Il m’a fallu énormément de temps et d’effort, parce que le clown était un genre nouveau. Cette situation m’a poussé à m’intéresser à la psychologie des enfants. Pour savoir ce qui leur plaît, ce qui les effraie, ce qu’il les motive et les rend heureux, etc. Parfois j’invite les enfants à assister à mon maquillage pour les familiariser. J’ai compris qu’il faut éviter de les surprendre. J’adapte mon maquillage et mes costumes à mon public ». Djamaldine Toybou organise des spectacles partout à Ngazidja pour défendre son art : « Avec mes propres moyens », s’empresse-t-il de dire. Mais le temps a fait son effet. « Actuellement, les enfants me trouvent sympa, gentil, et, avec eux, on s’amuse. Ils prennent le clown à bras ouverts. Petit à petit, l’art du clown se vulgarise, devient de plus en plus populaire, dans les écoles, les anniversaires, les évènements. Maintenant les enfants ont l’habitude ».
Pour séduire les petits, l’artiste a même inventé son petit rituel. « Pour me rendre à un anniversaire ou dans un évènement quelconque, je me maquille et m’habille depuis chez moi. Dès que j’arrive et qu’ils me voient, les enfants s’approchent, on se salue, en attendant que le spectacle commence ». Djamaldine multiplie les ateliers dans les écoles pour sensibiliser. « Au niveau de Ngazidja, les élèves ont l’air satisfaits ». L’Ecole primaire publique de Moroni Application est l’endroit où il s’est produit le plus. « Il faut donner la chance à ceux qui ne l’ont pas. Je sais que l’école publique n’a pas la chance de voir ce genre de spectacle ». Il le voit donc comme une opportunité offerte aux enfants. « En général, je me produis beaucoup dans les écoles publiques. Les privées ne sont pas nombreuses. Il n’y a que quelques-unes, à l’exemple de l’école privée Groupe Scolaire Fundi Abdulhamid, de l’école française… » Les parents comme les enseignants apprécient. « Malgré les rigolades mais il y a toujours un message derrière chaque spectacle. On trouve ça important » disait un parent d’élève. Les enseignants, quant à eux, en veulent toujours plus. « Les critiques constructives de ces deux catégories aident à l’amélioration des mes spectacles ».



Le Clown Bavard au FUKA Fest à Mirontsy, Ndzuani.
Son dernier opus s’intitulait Carnet de quatre petites notes d’amitié. Un spectacle écrit à Maore par Dalphiné, comédien, mis en scène par Soumette Ahmed, comédien et metteur en scène. Le spectacle raconte l’histoire d’un enfant passionné par la musique de son grand-père. Ce dernier perd son instrument, qui s’évapore, lors de vents violents, ravageant le pays. L’enfant se rend chez le grand-père, qui lui annonce la mauvaise nouvelle et lui conseille de parcourir le monde pour retrouver l’instrument. Une fois en Indonésie, l’enfant repère le salampoug, un instrument de sonorité similaire, mais de morphologie différente. Il s’est rendu aussi à Madagascar et découvre le Marovany, de même sonorité, mais de forme différente. Il part aussi pour Dar-es-Salam où il voit le Zézé, un instrument de sonorité pareille, mais de forme différente que ceux des deux premiers pays visités. « Il retourne aux Comores, après ce long parcours, et, y découvre enfin le ndzendze et le gambusi. Il se rend compte que ces quatre instruments, de formes différentes, racontent la même histoire, celle du « son similaire ». A son tour, l’enfant apporte cette nouvelle à son grand-père ».
Pour ce spectacle, présenté entre autres sur la quatrième île, Soumette le met en scène aux côtés de Mwinyi M’madi. Car l’artiste essaie bon an mal an de s’inscrire dans un réseau de diffusion plus large. Parlant de Moroni : « Il nous manque énormément de moyens ». Il se plaint : « Je ne vois aucune structure comorienne qui peut accueillir nos projets et les financer, alors que nous avons une direction chargée de la culture. Heureusement, depuis 2018[7], le CCAC et le SCAC soutiennent mes projets de temps à autre. Le manque d’appui étatique devrait nous freiner normalement, mais, on s’accroche. On avance difficilement, à petit pas ». Ce qui ne l’empêche pas de se projeter. Il pense à l’avenir. « Je voudrais acquérir des connaissances, bénéficier d’une formation à l’extérieur, renforcer mes capacités, dans ce domaine artistique ». Un enjeu pas toujours évident à assurer. « J’ai procédé à des inscriptions à de nombreuses reprises. Parfois, j’obtiens des réponses positives, mais à cause de la COVID-19, je n’ai pas pu partir. Je me dis toujours que si j’ai toutes les compétences, je pourrais transmettre aux autres générations. Je souhaite aussi disposer d’un lieu pour mes créations, un cirque par exemple, où les enfants pourront profiter des spectacles et des formations ». En parallèle, Djamaldine Toybou organise Tsapvuha au CCAC, un concours dédié au spectacle vivant. « Le but de celui-ci est de promouvoir le théâtre. Une façon de réunir les comédiens ensemble, qu’on puisse partager, avoir des projets collectifs ».
Ansoir Ahmed Abdou
Image en Une : le Clown Bavard au Fuka Fest à Ndzuani.
[1] « Troupe théâtrale classique de Singani ».
[2] Une localité du nord de la Grande-comore.
[3] Idem.
[4] Slameur du collectif Art 2 la plume et ancien animateur culturel du centre American de Moroni.
[5] 04 juin 2016.
[6] Collectif de slameur-comédiens de l’Union des Comores créé en 2012.
[7] Date à laquelle j’ai professionnalisé mon art.