La diaspora comorienne en France, la plus grande du monde que nous connaissions, se montre de plus en plus atterrée par ce qui se passe au pays. Mais a t-elle jamais su elle-même canaliser ses énergies pour imposer une alternative à ceux qui nous dirigent. Ce fut le grand fantasme de beaucoup de ses représentants. Un rêve malmené, sans cesse, et sur lequel Soeuf Elbadawi écrivait en mai 2002[1]. C’était il y a 20 ans…
Notre communauté en France est la plus grande que l’Archipel ait jamais connu dans son histoire contemporaine. Certains s’amusent même à considérer Marseille comme étant la plus grande capitale des Comores. Les uns et les autres sont partis du village tenter leur chance là où s’invente les grandeurs de ce monde, du moins le raconte-t-on dans la légende. Etudes, emplois ou soins de santé… tous sont partis dans la perspective d’un mieux-être supposé sur cette terre d’ailleurs, située à plus de huit mille kilomètres du sol d’origine.
Mais la réalité immigrée n’est pas si simple. Vivre dans le Nord nécessite une geste de vie que beaucoup s’épuisent à singer, à défaut de vraiment en jouer. Les règles du pays d’accueil ne sont pas toujours commodes. A la longue, on se surprend parfois à raser les murs. Papiers, endettements, exclusions et autres problèmes s’accumulent devant la porte du migrant comorien, au point de le ramener à son cordon ombilical. Chaque jour, son lot de galères. A force, disait un vieux navigateri vivant à Marseille, la nostalgie vous gagne et le retour au pays finit par vous sembler nécessaire. Retour à la source. Retour au bercail. Retour simplement pour fuir l’individualisme et les maux d’une société moderne, à laquelle très peu ont été préparé. Après tout, on ne se porte jamais mieux que chez soi.
L’avenir aux Comores…
C’est là que s’exprime la vraie douleur du migrant. Quant sa pensée, traversée par la nostalgie du pays quitté, se met à poser les jalons d’un retour définitif. Comment retourner dans un pays où tout va mal. Où tout nous échappe. Où les dirigeants ne pensent qu’à se remplir les poches, au détriment d’une patrie qui, de plus en plus, se décompose. Un pays foutu, un peuple divisé, une terre qui ne produit plus que des migrants potentiels. Comment oublier tous ces villages abandonnée par la jeunesse, partie tenter sa chance ailleurs. A Mada, à la Réunion ou dans l’Hexagone. Comment ne pas parler de ces hordes de jeunes qui sont prêts à vendre mère et terre pour prendre l’avion un jour et tâter de près le rêve français ?

Dr Said Ibrahim, en train de sensibiliser sur l’éducation des enfants issus de la migration comorienne, lors d’une conférence organisée par l’ANIF à Marseille en 2016. En face, dans le public, le député Said Ahamada.
Les Comoriens de France sont pris dans cette tourmente, ne sachant pas s’il faut rester dans un pays qui ne vous aime pas forcément ou s’il faut retourner sur une terre désolée qui a honte de ses enfants. Rester ou partir? Nombreux sont ceux qui aimeraient rentrer. Mais les garanties d’une réinsertion sur place, une fois rentrée au village, sont minces. Alors, on se surprend tous à espérer que les données économiques changent un jour. On s’efforce de prier pour que nos dirigeants deviennent plus honnêtes et plus sincères. Les plus inspirés parmi nous inventent des projets de reconstruction, créent à distance des bulles agitées de société civile active, multiplient les injonctions envers un milieu politique corrompu, mais tellement incontournable, dès lors qu’il s’agit de parler d’avenir aux Comores.
Mensonge et indignation
Nous ne sommes plus à une duperie près. Nous savons tous que nos hommes politiques ont su jouer avec cette donnée jusqu’à aujourd’hui. Ils savent que la France héberge la plus grosse communauté comorienne à l’étranger. Celle qui pleure le plus le pays aussi. Ils viennent donc de temps à autre la solliciter, lui prendre son argent, jouer sur ses fantasmes. Avant chaque échéance électorale, les leaders viennent parader à Paris, Marseille ou Dunkerque, en promettant ce qu’ils ne réaliseront jamais. Les dernières échéances n’ont pas échappé à cette règle, instituée depuis l’indépendance dans le pays qui nous a jadis colonisé ou qui continuent à nous disputer la liberté acquise, sans ménagements aucuns. Azali comme d’autres sont passés jouer les samaritains du futur ensemble (re)constitué.



Lors d’un twarab organisé en 2016 par l’ANIF à Marseille.
Mais que reçoivent leurs comités de soutien en échange? Rien ou pas grand-chose jusqu’alors. L’indignation nous gagne… rien qu’en repensant aux armées takiistes qui ont longtemps servi la soupe au guru de Mbeni, avant de le voir trahir un à un les espoirs accumulés sur sa personne. La communauté comorienne a pris ainsi l’habitude de se voir manipuler en beauté. On pourrait même la soupçonner d’être un zeste maso, par moments. Pourtant, nous savons tous qu’elle serait son poids sur les affaires du pays, dans la mesure où elle représente un potentiel financier, se chiffrant à des millions et des millions de devises nationales. On se prend à penser que ces immigrés pourraient même à distance reconstruire le pays rêvé. Mais penser est une chose, agir en est une autre. Quand on sait les problèmes que vit cette communauté, on a du mal à imaginer qu’elle puisse un jour véritablement influer sur l’avenir du pays.
Constat amer
Il s’agit d’une communauté minée par les divisions de toutes sortes. Une communauté qui n’arrive qu’à « canaliser des énergies inutilement » déclare une jeune étudiant. Une communauté dont les projets « tirent plus vers l’apparence, lorsqu’ils existent, que vers un développement durable » renchérit un autre. Une communauté qui donne surtout l’impression de ne pas savoir se défendre. Qu’elle se fasse agresser comme Ibrahim Ali avec les afficheurs du Front National [Elle a su se montrer digne néanmoins] ou qu’elle soit obligé d’emprunter des coucous minables avec des compagnies aériennes [Une nouvelle compagnie vient semble-t-il d’être lancée] aux mœurs commerciales douteuses, la diaspora comorienne, aussi importante qu’elle est, n’a jamais su plaider, selon la plupart de ses enfants, pour ses intérêts propres. Du coup, on se demande si elle n’est pas l’une des plus grandes perdantes des changements en cours aux Comores, processus durant lesquels elle n’a même le droit de voter. Perdante, non pas à cause des hommes politiques qui ne daignent pas lui faire honneur, mais plutôt à cause de son incapacité à convaincre sur une réelle alternative. Alors qu’elle contient en elle une bonne partie des forces vives de notre pays en perpétuelle reconstruction. La communauté comorienne en France n’a pas su comment formuler sa douleur devant le projet de l’Union. Beaucoup d’accusations, d’insultes et de positions victimaires, mais peu de cohérence et de cohésion dans ses rangs pour impulser les changements tant espérés, dans le rapport de force qu’elle entretient avec ceux qui sont restés garder les cimetières au pays à sa place.
Soeuf Elbadawi
En Une, une photo de twarab à Marseille, événement organisé par l’ANIF.
[1] Article paru le 01 mai 2002 sur le site Komornet, aujourd’hui disparu des réseaux.