De la fondation aux bombardements. Née lorsque les villages mohéliens se sont regroupés, la ville a été mise en ruine par les tirs français à l’époque de Djumbe Fatima. Ce texte est paru dans le n° 62 du journal Kashkazi en 2007.
Si la région de Fomboni a été occupée dès le début du peuplement des Comores, vers la fin du VIIIème et au IXème siècle, la ville elle-même n’a été fondée que beaucoup plus tard. Les vestiges retrouvés témoignent cependant d’une activité importante dans plusieurs localités parmi lesquelles Bandares-Salam, « un mot perse qui indique le port » ; Mrodewa, « en face de l’actuel parlement, une sorte de township où il y avait des artisans et où on a trouvé pas mal d’outils pour tisser le coton et des tessons venant des pays riverains et même de Chine » ; Kombani, Uvanga, Mlembeni, Mafumbuni…
« Cet ensemble de localités en sont venues à se rassembler à l’appel de Kombani et Uvanga », indique Salim Djabir, qui effectue des recherches sur l’histoire de l’île. Selon lui, ce regroupement correspond à la période où de nombreux villages mohéliens ont été abandonnés. « On pense que les gens de la région, pour se protéger des invasions malgaches [aux XVIIIème et XIXème siècles, ndlr] et des maladies contagieuses, ont pris la décision de quitter les villages anciens. C’est à ce moment-là que Fomboni aurait été créée. Le phénomène a été général : les gens se sont aussi regroupés à Nyumachua et Djoiezi. » M. Djabir relie cette « sorte de décision générale de tout l’île » au « système du roi sagoutier » qui prévalait selon lui à Mwali. « L’île est restée pendant longtemps dans le système coutumier traditionnel », affirme-t-il. « Le sultanat est très tardif. Même si des chercheurs avancent qu’il y a eu des sultans à partir du XVIème siècle, dans la tradition orale, on ne reconnaît pas la valeur de ces rois. »

Yezi ya mfaume Mtsambu.
L’île retient en revanche le pouvoir du roi sagoutier, yezi ya mfaume msambu. « Je le situe peut-être autour du XIIème siècle. C’est ce qui a fait l’union de Mohéli. A un moment donné l’île était divisée en cinq régions (djera). Chaque région déléguait des représentants de trois niveaux : coutumier, musulman, et sorcier. Ils se retrouvaient dans une région autour de l’arbre sagoutier pour prendre les décisions de l’île. Quand ils retournaient dans leur région, ils ne voulaient pas dire quelle personne avait recommandé telle chose. Ils disaient donc : « Le sagoutier a recommandé… » C’était une sorte d’anonymat. » Ces prises de décision collégiales expliquent selon Djabir qu’aucune véritable capitale n’ait émergé dans l’île et que le rôle de Fomboni ait été d’abord coutumier. « Même une ville à l’époque très développée comme Mwali Mdjini n’a pas été reconnue comme capitale », souligne-t-il.
Il faut attendre la conquête de l’île par le Malgache Ramanetaka pour que la ville devienne le centre administratif et coutumier. Le roi-guerrier élargit la place publique, construit un palais qu’il fait garder par des soldats, une mosquée et un cimetière royaux. Mais la ville n’a pas gardé grand-chose de cette période royale, ni de ses années de prospérité. « Elle devrait avoir le visage d’une vraie médina, une ville ancienne », affirme Salim Djabir. « Il y avait des gens riches avec la traite négrière et les activités de commerce diverses. Mais elle a subi des destructions pendant la guerre avec Anjouan, puis les razzias malgaches, et enfin une destruction totale par les bombardements sous Djumbe Fatima. Les maisons de valeur ont été détruites et la ville a perdu son visage du XVIIème-XVIIIème siècle. Pour reconstruire tout ça, il fallait du temps. Mais la plupart des gens ont fui vers les régions de montagne, abandonnant leur maison détruite. La ville a en plus essuyé les tirs des tirailleurs sénégalais qui ont fait trente morts en 1902 [pour réprimer une révolte de travailleurs, ndlr], ainsi que la guerre civile quand Abderhemane a été tué… »

Djumbe Fatima et sa cour, redessiné par Fundi Moussa, sur les murs de l’hôtel Karthala.
Le premier bombardement a lieu en 1867, au moment de la rupture entre Djumbe Fatima et Joseph Lambert. Ayant pris conscience d’avoir été dépouillée par le colon, qui l’avait convaincue de lui céder toutes les terres de l’île pour 60 ans, la reine abdique en faveur de son fils pour éviter d’avoir à exécuter le contrat. Les autorités françaises installées à Maore s’en mêlent et la somment de respecter ses engagements. L’ultimatum des Français « resta lettre morte », écrit l’historien Jean Martin[1]. « Aux dires de Lambert, le gouvernement mohélien était persuadé que la menace de bombardement ne serait point exécutée. Le lendemain, dimanche 24 novembre vers six heures du matin, l’Indre et le La Bourdonnais ouvraient le feu sur le petit fortin de Ramanetaka. L’artillerie de la reine demeura silencieuse ; elle ne se composait d’ailleurs, à quelques exceptions près, que de médiocres bombardes et couleuvrines tout juste bonnes à saluer les navires de guerre. De toute manière, les bâtiments français, embossées à quelques 1.300 mètres au large, se trouvaient tout à fait hors de leur portée. La première canonnade semble avoir duré un peu moins d’une heure de feu nourri. Par la suite, Empis fit réduire la fréquence du tir. Le petit fort fut rapidement éventré et le feu eut tôt fait de se propager aux paillotes avoisinantes (…) Les fusiliers de la compagnie de débarquement incendièrent la case de Sultan ben Saleh ; ils ne rencontrèrent que fort peu de résistance, la bourgade ayant été désertée par ses habitants. La reine, son entourage et ses guerriers s’étaient enfuis en direction de Oualla par un sentier de brousse (…) Les trois navires laissèrent Fomboni dans un état de désolation ; quelques rares habitants revinrent timidement et s’employèrent à reconstruire leurs cases… »
Dix ans plus tard, la marine française vole à nouveau au secours de Lambert, en tirant sur la ville. « Le 3 juin, le commandant du Volta fit ouvrir le feu et la pauvre bourgade fut incendiée, tout comme elle l’avait été trois ans auparavant », rapporte Jean Martin. « Il n’y eut pas de victimes car la localité avait été désertée par ses habitants au cours de la nuit précédente. Lambert craignit un temps que le feu n’atteignît son habitation. Le lendemain, les guerriers mohéliens commandés par Abdallah Moussalim détruisirent les plantations du duc d’Imerina et brûlèrent les cases de Mremani, village où résidaient ses ouvriers. M. de Coatpont répliqua en bombardant le quartier du sud-ouest, le seul qui eut été épargné par l’incendie de la veille. Le 6 août le capitaine de frégate fit mettre à terre deux colonnes de tirailleurs : cette petite troupe s’empara sans coup férir du fort de Ramanetaka, qui, éventré par les obus, avait été évacué par ses défenseurs. » Laissé en ruine après avoir été utilisé comme école sous la colonisation, le palais royal sera finalement détruit. « La population a jugé utile de l’achever », sourit Salim Djabir. De nombreuses maisons, dont ne parle pas Jean Martin, qui n’évoque que des « paillotes », n’ont-elles pas été achevées ? Leurs traces sont encore visibles aujourd’hui, au sein de la ville.
Lisa Giachino
A la Une : vestiges sur le pangahari.
[1] Jean Martin, Comores, quatre îles entre pirates et planteurs, L’Harmattan, 1983.