La comédienne comorienne était conviée à la 19ème édition du festival international du film panafricain à Cannes. Un épisode singulier, où l’on a vu l’ambassade de France à Moroni se distinguer une fois encore par un refus inexpliqué de visa Schengen pour l’actrice principale du film Amani.
Cette histoire se vit un peu comme dans un rêve. Dans un tout autre contexte, sans doute que Salmador aurait été une femme à découper en deux tranches bien fines, qui se réassemblent dans un même miroir. D’un côté, la femme-image, au bulbe qui brille sous les feux d’Instagram. Une icône avant l’heure dans une époque qui flambe, et où l’on aimante les regards, à la rencontre d’une destinée de de star sur la toile. De l’autre, la femme éplorée et possiblement banale, qui court après son ombre, comme celles de toute sa génération, dans une tentative renouvelée de dissolution de soi. Le postulat est là : mourir et renaître à chaque fois, grâce à ces deux facettes réunies d’elle-même.
Mais nous ne sommes pas dans cet ailleurs fantasmé. Salmador est bien Salma, faite femme à Moroni. Une icône qui n’a pas encore dit son nom, qui se cherche une histoire dans la vapeur des followers. Elle affiche ses « K » sur le réseau, comme d’autres leur envie d’être aimée, en se mettant dans la peau de quelqu’un d’autre. Une sorte de leurre, tranchant avec le réel. De son vrai nom Salma Mohamed Said Mzimba, Salma est l’une des personnalités comoriennes les plus influentes – elle n’aime pas le terme d’« influenceuse » – du web. Taille fine, cheveux en fleur, elle est fille d’un père professeur d’histoire géographie et d’une mère commerçante.
Autant le dire, Salma ne passe pas inaperçue sur les plateformes d’échange. En chiffres, elle pèse environ 15,5 mille abonnés sur Insta. Elle ne cesse d’éblouir ses followers, par ses shootings, ses selfies et ses publicités, divers et nombreux. Ses débuts ? Elle les remonte à ses huit ans. La musique était alors sa passion. Chanter ! Un héritage familial. Sa grand-mère était une adepte du lelemama, une tradition à Ngazidja. Au village, c’était sous un manguier que Salma allait chanter avec ses amies, accompagnées d’instruments faits de toutes pièces : makapuka. C’est sa mère qui la soutient bec et ongles, mais pas le père ! Une complicité de mère et fille qu’elle aime à raconter.

Dans le film Amani de Ahmed Omar Toiouil.
C’est aussi à travers la passion pour la chanson qu’elle expérimente à ses débuts, en imitant des artistes de twarab. dans la demeure familiale à Itsandra. Elle y prend ses aises avec la folle ambition de devenir pianiste. « Mon père m’avait fait la promesse de m’acheter un piano ou une guitare acoustique. L’envie d’apprendre à jouer ces instruments m’habitait. Mon rêve était d’avoir Salim Ali Amir comme prof de musique » nous confie t-elle. Voulait-elle suivre les traces de Faïrouz Ahmed aka Mafia et celui de Kourachiya Mbaraka, pianistes de l’orchestre Mahabouba[1], qui, suscitent l’admiration du peuple comorien ou voulait-elle taquiner la guitare avec passion à la Farda Nassor[2]. Toutes ont marqué le paysage musical, avec un talent resté légendaire.
De toutes façons, le père de Salma n’a que peu aidé sa fille dans la réalisation de ses rêves. Sans doute, ne voulait-il pas d’une fille musicienne. En tous cas, il ne la voyait pas évoluer dans la culture, bien que son oncle pratiqua, longtemps, la sculpture. En classe de quatrième, Salma devint une sériphile, une passionnée de télénovelas. C’est à travers la série à succès « Mas sabe El diablo » – « l’ange du diable » – qu’elle découvre l’emblématique américain Jeancarlos Canela[3], surnommé Angel Salvador. « J’adore énormément, dit-elle, le jeu de cet acteur. Il m’inspire ». Elle souligne avoir eu un faible pour « Salvador », le surnom, au point d’avoir cherché à forger un anagramme avec le sien propre. C’est ainsi que Salma est devenu Salmador, son cryptonyme à peine dissimulé sur les réseaux depuis 2019, juste après l’obtention de son Bac.
Depuis lors, elle n’a pas arrêté de publier du contenu. Des photos et des sketchs, principalement. Son nom est désormais bien connu du public de la sphère comorienne. Elle tient à préciser, toutefois. Ce n’est pas son statut d' »influenceuse », qui lui garantit – financièrement parlant – son quotidien. Dans la réalité, Salmador pratique le même métier – le commerce – que sa maman, faisant appel à des notions de première année jadis obtenues à l’Université des Comores. Une formation qu’elle n’a pas achevée à cause de conditions financière difficiles. Mais la toile – c’est désormais connu – réserve bien des surprises à ses habituées. Et c’est là que la porte du cinéma s’est ouverte à elle. Un monde résolument nouveau pour sa bonne pomme, qui parle beaucoup avec innocence. Ce que d’autres confondent avec de la naïveté…
Publier de façon permanente des spots publicitaires, des vidéos de culture d’entreprise ou des sketchs, à travers lesquels elle apprenait petit à petit le jeu d’acteur, ne pouvait lui suffire. Il lui en fallait plus. Certes, elle ne pensait pas qu’une occasion de ce genre – jouer dans un film – se présenterait, mais l’audace l’accompagnait dans sa geste de tous les jours : « Nadi nadi upaswa bwe », souligne-t-elle. Remis dans son contexte, cela signifie : « La maîtrise d’un art, d’une technique, ne peut s’acquérir que par l’expérience ou la pratique ». Cela est valable dans tous les domaines, mais seuls les courageux savent comment s’y prendre. Elle en est, même si elle se montre humble : « Je n’ai jamais assumé un rôle d’acteur, ni dans le spectacle vivant, ni dans un long métrage. Mes limites étaient de petites vidéos publicitaires pour certains commerçants locaux ». Le film Amani d’Ahmed Omar Toiouil[4] est une aubaine forcément inattendue. « C’est une proposition qu’on m’a faite en 2020. Et j’en suis devenue la vedette ».


Salma au tournage et à l’affiche de Amani.
Ce rôle vient ainsi grandir sa notoriété auprès des Comoriens. Le film a été projeté à l’Alliance Française de Moroni, pour sa toute première date de sortie. Un succès salué, et par le public, et par les quelques pros de la place. Amani fait tranquillement son chemin, aujourd’hui, à l’international. Le réalisateur et ses acteurs ont eu le privilège d’être conviés à la 19ème édition du festival international du film panafricain de Cannes. Des perspectives nouvelles s’ouvrent de fait à Salma. Mais cette invitation n’a pas suffi pour obtenir le visa de l’ambassade de France à Moroni. Il a fallu crier haut et fort sur les réseaux. Sensibiliser via la presse. Non pas qu’elle soit la première ou la dernière à mendier son visa Schengen, mais le refus opposé par les autorités françaises finit toujours par en choquer plus d’un. La plupart des artistes cèdent d’ordinaire à la déprime et au découragement dans ce cas précis. Ce fut le cas, par exemple, des trois membres du collectif Art 2 la plume, invités au deuxième forum mondial de la langue française en Belgique en 2015.
Mais ce ne fut pas le cas pour Salmador, le rejet de l’ambassade ayant fait réagir toute la sphère virtuelle comorienne sur la toile. Tout s’est passé comme si la diplomatie d’influence de la France plaçait les créateurs et leurs affiliés dans un même panier. Apparemment, l’ambassade se laisse facilement gagner par les clichés, les préjugés et les étiquettes. A cause de ses lourdeurs, Salma est arrivée en retard pour le rendez-vous à Cannes. Heureusement qu’il y a eu une présentation du film de prévue à Paris, au programme. Pourtant, il y a un fossé certain entre ceux qui partent, en ne souhaitant pas remettre les pieds au pays de sitôt, et ceux qui partent, avec l’idée de revenir à leur point d’ancrage. Les premiers cas ne concernent qu’un petit nombre d’artistes, alors qu’ils sont plusieurs à revenir avant l’expiration de leur visa. Les exemples ne manquent pas au tableau. Le retour de Salmador, après un périple de quelques jours en France, ne sera qu’un énième exemple à donner. Mais l’absence d’une législation dans le pays, défendant le corps des artistes, est l’une des raisons invoquées, pour expliquer les ambiguïtés de l’ambassade. La peur que tout le monde se présente comme artiste au guichet ?
Il est quasi impossible de trouver une base de données fiable, concernant le monde de la culture, y compris au sein du ministère de tutelle. Les créatifs ont l’air de ne pas exister dans les différentes professions répertoriées de ce pays. Ceux qui n’ont pas le bras assez long seront donc toujours absents aux rendez-vous en Europe, dès lors qu’il leur faut obtenir le sésame de l’ambassade, Place de Strasbourg. Que Salmador ait raté la 19ème édition du festival international du film panafricain de Cannes, n’y change rien. La même rengaine pour tous : « Aucune garantie solide ». Comme si le pays entier voulait se réfugier dans un tunnel parisien. Pourtant, Salmador réexplique son cas : « J’avais un dossier complet, tout était pris en charge. Perso, j’avais confiance, vu l’envergure de l’événement. Mais je me suis trompé sur toute la ligne. Heureusement j’avais le soutien, d’une part, de l’opinion, des avocats, des journalistes, des artistes de la place, et d’autre part, celui de ma marraine, Malika Salim, la première personne à m’avoir sifflé l’idée de recours et qui a mis son carnet d’adresse à mon service. Elle a considéré que c’était une cause noble ».
Elle n’oublie surtout pas : « Je pense que c’est aussi grâce à l’appui de Monsieur Elhad, de la fondation Soprano, qui a beaucoup pesé sur la décision de l’ambassade ». Salma est allé en France, puis a repris l’avion pour Moroni, une fois sa mission finie. « Je suis là, aujourd’hui. J’ai respecté mon engagement, après ce rendez-vous presque mythique ». Simple rappel ou besoin de signifier que ce n’est que le début d’une longue histoire, avec laquelle il faudra désormais compter ? Amani, ce premier film auquel elle a participé, connaîtra-t-il une belle carrière dans le circuit francophone ? Seul l’avenir le dira. Mais l’actrice comorienne affirme d’ores et déjà avoir d’autres projets en tête. Elle préfère ne pas trop les divulguer, pour l’heur. Et minimisant les obstacles sur son chemin, elle affirme d’un regard osé : « Ce sera une surprise ». La route est longue, encore pleine d’embûches. Mais cela ne lui fait pas peur. Car comme disent les Comoriens : « Kairi hula haraka hana hurongowa haraka ».
Ansoir Ahmed Abdou
[1] Orchestre féminin de Mutsamudu, Ndzuani.
[2] Membre du même orchestre.
[3] Auteur, chanteur, compositeur et acteur américain.
[4] Cinéaste et réalisateur comorien