Le 7 mars 2004, la mer avalait le Samson, un ferry parti de Moroni avec 119 passagers et membres d’équipage pour Majunga. L’enquête est restée au point mort. Cet article est paru dans le n’° 33 du journal Kashkazi, le 22 mars 2006. Les images, elles, datent de novembre 2022.
7 mars 2004 – 7mars 2006. Deux ans se sont écoulés depuis le naufrage du Samson. Le ferry parti de Moroni via Mutsamudu a chaviré le 7 mars vers 22 heures à 129 kilomètres de Mahajanga, sur la côte malgache. La carcasse du ferry de la mort gît à 3.000 mètres dans les entrailles de l’océan. Dans ses tripes, des squelettes anonymes sont peut-être encore prisonniers du salon des passagers. Cette salle où les 119 voyageurs ont trouvé la mort, broyés par la lame soulevée par les vents du cyclone Gafilo, qui a balayé sur son passage le navire inconscient, qui avait pris la mer malgré l’alerte orange, lancée dans toute la zone océan Indien.
79 comoriens, 41 malgaches, 2 français ont péri dans ce naufrage. Seules deux personnes ont survécu. Abdou Ibrahim, 33 ans, originaire de Mirontsy, et Fatima Abdou. Deux miraculés dont le témoignage, recueilli à chaud sur un lit d’hôpital de Mahajanga par la presse, avait permis de se faire une idée de la souffrance qui a précédé la mort de tous les autres. « Certains pleuraient, d’autres priaient, tout n’était que cris et hurlements de peur. C’était la panique générale, passagers, matelots, capitaine étaient paniqués. Ce dernier a fini par s’enfermer dans sa cabine » a décrit Abdou, qui, dans la panique du bateau qui sombrait, a pu arracher un canot de sauvetage.
C’est lui aussi qui a sauvé de la noyade Fatima, projetée à la mer par le mouvement du bateau, qui tanguait sur les crêtes des vagues en folie. Parmi les victimes, la presse a publié le visage souriant d’Ismaël Yssoufa, dont la copine, Marie-Yves Busset, partie l’attendre à Mahajanga, a suivi depuis le siège du Samson les dernières conversations entre l’armateur et le commandant du ferry, avant le silence qui a précédé le naufrage. « Madagascar était en alerte cyclonique », expliqua-t-elle par la suite. « Je me suis rendue le lendemain 7 mars à 13 h à JAG Marine, le siège de l’armateur du Samson, pour me renseigner sur l’heure d’arrivée du bateau. L’armateur m’a répondu que le ferry devait jeter l’ancre dans l’après-midi. Parti de Mutsamudu le 6 mars à 17h30, il devrait atteindre Mahajanga après 24 heures ».



L’entrée à Majunga du cimetière Sheikh Ahmed Vita, où sont enterrés les morts du Samson. Une des tombes portant le nom (Zalihata Mohamed Youssouf) et la date du naufrage (07.03.04). Fundi Hadji Toiouilu – notre guide en ces lieux – est l’un des derniers « gardien de la trace » au sein de la communauté comorienne de Majunga.
« De retour à la maison, peu convaincue par les déclarations fantaisistes de l’armateur, les premières bourrasques du Gafilo soufflent sur la ville. Un regard sur ma montre, il est minuit et demi. 8h30 le lendemain 8 mars. Je profite d’une accalmie pour revenir sur ce port sans vie. Le Samson n’est toujours pas à quai. Lorsque je retourne au siège de l’armateur, celui-ci est entouré de deux membres de sa famille, le radio message accroché à l’oreille. « Ici JAG à vous Samson ». Le même appel insistant, et sans réponse. Sur un autre appareil, j’entends une voix qui appelle. « Ici Moroni, à vous Samson, vous m’entendez ». Et toujours le silence comme réponse. Je perds espoir et demande des explications. « Nous avons eu un contact hier dimanche à 17h. Le Samson était à 7h de bateau de Mahajanga » répond l’armateur qui assure à la femme désespérée que « le Samson est un bateau qui ne peut pas se renverser ».
La suite est cousue de mensonges, de contre-vérités, et surtout de questions restées sans réponses. Qui a ordonné au bateau de quitter le port de Mutsamudu, malgré l’alerte cyclonique ? Combien de passagers étaient exactement à bord ? Qu’est-ce qui s’est passé à l’approche des côtes malgaches, puisque le bateau se trouvait seulement à une centaine de kilomètres de Mahajanga ? L’armateur a-t-il donné des ordres à son commandant qui se sont avérés fatals ? Que se sont-ils dit lors de leur toute dernière conversation ? Le ferry était-il en état de prendre la mer ? Etait-il assuré ? A ces interrogations se sont ajoutées les péripéties d’une enquête qui est restée au point mort. Un avocat des victimes, Me Larifou, qui dénonce « une volonté de l’armateur d’étouffer le dossier », en proposant des arrangements financiers aux familles des victimes.



La tombe de Nouhou Soule, dont la dépouille a permis à la communauté zanatany de se réapproprier pleinement ou presque le cimetière Sheikh Ahmed Vita pour ses morts. Nouhou Soule est une des victimes connues du Samson.
Des familles de victimes qui ne savent pas à quel saint se vouer pour obtenir l’identification des corps. Des autorités malgaches désemparées qui d’un côté font preuve de fermeté, en sanctionnant certains responsables du port de Mahajanga, et de l’autre se montrent silencieuses, sur la complaisance à laisser naviguer un bateau sans licence de navigation. Côté comorien, les autorités brillent par leur indifférence. Un deuil national a été décrété quatre jours après le naufrage, alors que les recherches se poursuivaient pour identifier le lieu du naufrage… Sur le terrain, des collectifs des victimes et de soutien aux victimes se mobilisent pour faire la lumière sur ce « plus grand drame en mer » de l’histoire du pays.
Mais sans véritables moyens, sans soutien de la part de l’Etat et surtout sans coordination, les efforts s’épuisent. Aucune mesure administrative n’est prise, ni à Moroni, ni à Mutsamudu, contre les fonctionnaires qui ont laissé appareiller le bateau. Sur le plan judiciaire, aucune enquête n’a été diligentée par Moroni. Bref, comme c’est souvent le cas, après l’émotion des premières heures, les morts emportent avec eux le secret de leur disparition. Deux ans après, tout le monde est devenu amnésique. Le monument qui devait être construit au port de Mutsamudu pour rappeler la mémoire des 119 passagers morts dans le Samson n’est toujours pas construit. Contre l’oubli et pour le souvenir, Kashkazi dédie ce numéro de Bahari (dont est extrait l’article) aux victimes du Samson.
La photo en Une, Fundi Hadji, le « gardien de la trace », une personnalité incontournable à Majunga, qui bataille pour qu’on continue à reconnaître une digne place aux zanatany musulmans dans les cimetières de la ville.
Kamal’Eddine Saindou