Pour le journaliste Nassila Ben Ali, « l’Etat malgache n’a jamais trouvé nécessaire de présenter des excuses publiques et officielles, concernant le massacre des Comoriens en décembre 1976 ». Ce serait pourtant un signe de paix et de fraternité pour ces deux peuples, « liés au passé comme au présent » écrit-il dans un texte que le journal Al-Watwan a refusé de publier, cette semaine, par peur de la polémique et des incidences diplomatiques. « D’ailleurs, on se demande aussi pourquoi l’Etat comorien n’a jamais exigé d’excuses solennelles de son côté. En tout cas, les Comoriens sont prêts à pardonner » ajoute-t-il.
1976-2022. 46 ans déjà depuis le massacre des Comoriens à Majunga. L’histoire retiendra le fait que plus de 2.000 Comoriens furent massacrés, du 20 au 22 décembre 1976. Le gouvernement comorien a dépêché une délégation conduite par Mouzaoir Abdallah, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, afin de rapatrier des survivants. Avec le concours du gouvernement belge, Air Sabena a contribué au déplacement de 16.000 Comoriens. On apprendra également que 1.200 comoriens ont été rapatriés sur Dzaudzi.
Un fait indiscutable ! L’Etat malgache et ses dirigeants successifs n’ont jamais présenté d’excuses aux Comoriens. La presse de la grande île à l’époque parlait des massacres comme d’un simple fait divers, voire comme d’une émeute. Le rutaka ! La communauté comorienne de Majunga avait été victime d’une haine inexpliquée. L’interdit à l’origine de la tragédie, lié à une affaire d’excréments mal gérée a pourtant été une injure pour tous, malgaches comme comoriens. C’est cet incident qui a généré l’impensable, l’irréparable, les actes barbares qui ont suivi.
Avec le temps, se pose une question, cependant ! Les malgaches auraient-il connu le déshonneur, en présentant des excuses publiques à leurs voisins comoriens ? Non ! Car ce pourrait être un acte des plus pacifiques, un acte d’humanité. Reconnaître un tort commis à l’égard d’un ami ou d’un proche est parfois une preuve de grandeur et de civilité, renforçant le principe de fraternité et consolidant les liens.. La grande île et l’archipel des Comores sont des espaces limitrophes, unis par la géographie, l’histoire et les liens de sang. Un même destin les réunit par ailleurs dans l’histoire coloniale : « Madagascar et Dépendance ».

Reste de fosse commune au cimetière de Mangatokona à Majunga...
Parler d’excuses publiques de la part de l’Etat malgache serait-il excessif ? Si plus de 2.000 Comoriens ont été assassinés, si plusieurs viols et blessés ont été enregistrés, si plusieurs maisons ont été incendiées et/ou pillées, si plusieurs personnes ont été contraintes au déplacement, si tout cela a pu avoir lieu, c’est bien parce que les forces de l’ordre malgache n’ont pas levé un seul doigt pour stopper les atrocités. Soit elles se montraient incapables de gérer cette crise, soit elles se montraient laxistes. Rien n’a été fait pour mettre fin aux massacres. Une faute qui frôle l’incompréhensible…
De nos jours, il arrive que les peuples à qui l’on a manqué dans l’histoire aient droit à des excuses publiques. C’est une question de logique. Il n’y a pas si longtemps, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, interviewé par France 24, estimait que des excuses de la part de Paris s’avéraient nécessaires pour résoudre un problème de mémoire collective. En février 2017, alors candidat aux élections présidentielles, Emmanuel Macron, en déplacement en Algérie, estimait, quant à lui, que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité ». En 2019, les Rwandais exigeaient des excuses de la France pour avoir négligé des faits, lesquels ont, selon toujours les Rwandais, contribué au génocide de 1994. On parle de 900.000 rwandais massacrés. En mai 2021, Emmanuel Macron y reconnaissait une responsabilité française.
En avril 2013, le président serbe Tomislav Nikolic avait déclaré : « Je m’agenouille et demande que la Serbie soit pardonnée pour le crime commis à Srebrenica ». Le 23 avril 2014, veille du jour annuel de commémoration en Arménie, le président turc islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a présenté ses condoléances aux descendants des 900.000 Arméniens massacrés par l’armée ottomane en 1915. « Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie, dans les circonstances qui ont marqué le début du 20ème siècle, reposent en paix, et nous exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants », disait Erdogan. En juin 2020, le roi Philippe a exprimé ses « profonds regrets pour les blessures du passé », lors de la colonisation du Congo. En tout cas, les exemples ne manquent pas.
Mais si les autorités malgaches ne souhaitent pas présenter d’excuses publiques et officielles, qu’elles reconnaissent au moins une part de responsabilité dans la gestion de la crise. Regretter ces actes et trouver une forme d’empathie envers les victimes et leurs familles pourrait aider à déconstruire ce qui s’est passé à Majunga en 1976. Les Comoriens savent pardonner. Et ce serait une manière symbolique de tourner la page. Car les échanges se poursuivent entre les deux rives, malgré tout. Les Comoriens vivent en nombre à Madagascar, et s’y rendent pour de multiples raisons. Certains comoriens qui y résident sont en réalité malgaches depuis plusieurs générations. De même, les malgaches vivent en nombre depuis des lustres aux Comores. Il est donc temps de soigner les plaies de Majunga…
Nassila Ben Ali
Image en Une : l’avenue des Comores à Majunga, une autre histoire possible…
Parler de 1976 a souvent été un problème entre les deux rives. D’abord, parce que les victimes ou leurs familles continuent à opérer des va-et-vient entre Madagascar et les Comores. Ensuite, parce que les Comoriens ont souvent tendance à s’asseoir sur leur mémoire présente et passée. c’est le cas avec l’actuel Kafa la Maore, où il est pourtant question de plus de 20.000 morts en mer, à cause du Visa Balladur. D’aucuns se souviennent encore de ce qui s’est passé à Zanzibar. Sauf qu’une nouvelle génération entend poser cette question, autrement. Au nom de l’amitié qui lie les deux pays. Déconstruire ce qui a été vécu comme un trauma devrait permettre à la relation de se consolider, plus durablement, entres les deux peuples. Il n’est pas étonnant que la rédaction du journal Al-Watwan ait refusé la publication d’un article sur la question, y compris à l’un de ses journalistes,. Le père de ce dernier a failli être victime des massacres. Il s’est réfugié dans un commissariat. Il a fait partie du contingent des rapatriés en 1976. Mmadi Moindjie, le directeur du journal national Al-Watwan, a refusé la parution de ce texte, qui n’a rien de vindicatif, mais qui pose la question de la mémoire, par peur d’incidences diplomatiques: « Il contient des termes et des références qui peuvent faire confusion », selon lui. Ce journal n’est-il pas en mesure d’évoquer ces massacres, sans semer de la polémique et de la suspicion, 46 ans après les faits ? De rappeler Auschwitz ou le Rwanda en 1994 est censé empêcher d’autres drames. Les Comoriens sont parmi les rares peuples qui misent sur l’effacement de la trace pour perdurer. il est peut-être temps que ça change… Des victimes de 1976 le pensent et souhaitent en parler. Ont-ils ce droit? Nassila Ben Ali pose des questions. Que disent les autorités des deux rives?