Après sept années d’existence, le journal Uropve décide de tirer sa révérence. Une décision que certains lecteurs avisés de la presse comorienne ne trouveront pas à leur goût, mais qui vient rappeler la difficulté de mener campagne pour une presse citoyenne dans un pays où le clivage des opinions empêche la naissance de tout débat démocratique.
Les promoteurs du journal n’ont pas l’air d’être surpris par ce qui leur arrive. Ils s’y attendaient, si l’on en croit leurs dires. Faute de moyens conséquents et de contributeurs, le journal ne pouvait continuer plus longtemps. Se refusant à la pub à ses débuts, misant uniquement sur le soutien du lecteur pour exister, Uropve avait fini par s’y plier, ces derniers temps. En cédant sa quatrième de couverture à des enseignes telles que Nassib le boulanger ou Amana l’assureur, la rédaction, bien que ne cédant pas sur l’essentiel, avait trouvé le moyen de tenir encore debout. Mais les entreprises comoriennes exigent plus de complaisance, là où le journal parle de vertu citoyenne.
Dernièrement, il est arrivé que le journal prenne du retard dans sa parution, faute de moyens. Mais sa plus grande difficulté provient du fait que les contributions se faisaient rares. Trouver une bonne plume n’était pas donnée. Bien qu’étant un des rares supports de l’Union, capable d’assurer des piges dignes de ce nom, Uropve, reconnaissent ses promoteurs, n’avait pas les moyens d’assurer des conditions de rétribution optimale à ses collaborateurs. Le journal représentait cependant un espace de liberté unique en son genre. On pouvait y rencontrer des manières de voir totalement opposées.
Une diversité de points de vues, salutaire dans le rude combat pour la démocratie. Mais il faut croire que cela n’a pas suffi, d’autant que le journal s’est aussi heurté à la difficulté de retranscrire le réel comorien. Dans ce pays, où la rumeur est reine de tous les ébats, sur les places publiques comme dans les chaumières, l’écrit a quelque chose d’inessentiel. Du moins, tel que les gens se le représentent. Au-delà des anecdotes et des non-dits dont se gave la rue, il y a bien cette incapacité du comorien à se dire et à se lire à l’écrit. Uropve ferraillait dans ce sens, tout en sachant que la critique, quelle qu’elle soit, aurait toujours quelque mal à se faire entendre du plus grand nombre par les temps qui courent.





Quelques-unes des Une de Uropve. Il était une fois…
Un des principaux contributeurs de Uropve, pointe du doigt sur le cercle des journalistes : « Il n’y a pas vraiment à polémiquer, mais cette aventure nous a permis de comprendre que notre monde avait vraiment changé. Il fut un temps où on adulait le métier de journaliste, parce qu’on le pensait nécessaire au débat. On avait du respect pour les plus irréductibles d’entre eux, qui s’éternisaient dans le monde sacré de l’écrit. On sait le respect voué par certains lecteurs à Aboubacar Mchangama ou à Kamal’Eddine Saindou. Leurs points de vue forçaient à s’interroger sur le rôle des médias en général, la radio comme le reste. Mais on ne s’est pas rendu compte de l’importance prise, entretemps, par l’anonymat des réseaux et par l’avènement d’une nouvelle race de journalistes, pour qui la communication a plus de résonnance ». Il n’est pas dit que les lecteurs ne vont regretter la disparition de ce support de qualité dans un paysage étriqué où la polémique préfère se nourrir de pour et de contre, où le principe de binarité écrase tout débat.
Uropve, en ouvrant ses pages à une diversité d’opinions et d’expertises, espérait contribuer à l’émergence d’une forme de nuance dans l’espace public. Raison pour laquelle le journal sollicitait pratiquement tous les journalistes du pays, sans exclusive. Un bon nombre d’entre eux y ont collaboré, quel que soit leurs opinions. Ahmed Ali Amir, Faïza Soulé Youssouf, Kamardine Soule, Ali Moindjie, Touffe Maechan, Nazir Nazi, Soeuf Elbadawi, Fouad Ahamada Tadjiri… La liste serait longue, sans parler de ceux qui étaient dans les coulisses, dont Irchad Ousseine Djoubeïri, Mourchid Abdillah, Catherine Mournetas. Mais le fait est là, inextricable: le journal disparaît. Un tour et puis s’en va. Après sept années de dur labeur, force est de reconnaître que le projet se finit, comme L’Archipel ou Kashkazi, il y a quelques années, dans un puits sans fond. A une époque où le hayasa d’une chanson de mariage trouble plus l’imaginaire du citoyen qu’une page de tabloïd où s’analysent les décisions politiques engageant le pays d’ici à 2024, la rédaction de Uropve, qui se voyait accompagner certaines plumes vers le monde de l’édition, ne cache pas son amertume.
« Nous avions près de 300 lecteurs à chaque parution. Nous faisons un journal de qualité, en contenu et en forme. Mais nous reconnaissons notre échec. Un de nos fidèles abonnés nous a un jour fait cette remarque étrange : « Peut-être que vous devriez privilégier les illustrations dans vos pages. Car vos articles exigent trop de temps. En quatre mois, je n’ai toujours pas fini le dernier numéro ». En l’occurence, ce lecteur reste l’une des rares personnes à posséder la collection complète du journal. « Il n’en a raté aucun. Mais il faut entendre ce qu’il dit. La remise en question fait partie de notre métier. Le tout n’est pas d’avoir envie de lire. Encore faut-il savoir le faire, et il y a longtemps que nous, journalistes, avons oublié, dans ce pays, ce pour quoi nous faisons ce métier. Tout comme nous avons oublié l’importance de ceux qui nous lisent, à qui il faut sans cesse tenir la main. Nul n’est indispensable. Mais nous aurions pu apprendre au lecteur à nous accepter, à défaut de lui apporter la sainte vérité. Rares sont les journalistes qui y pensent encore. Et voilà une raison, parmi mille, qui nous poussent à mettre fin à notre activité. Sept ans, c’est un bon chiffre pour s’arrêter, sans trop de regrets ». Avec humilité et bienveillance…
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