Des symboles et de l’écriture

Les recherches archéologiques sont récentes aux Comores. Elles ont débuté dans les années 1970 avec Henry T. Wright. Mais aucune d’entre elle n’a permis de dater des vestiges d’avant l’ère chrétienne de manière precise. Depuis peu, des archéologues locaux ou originaires du Continent, réussissent à obtenir des résultats remontant avant J.C. Ainsi, du travail effectué autour des symboles autour des tombes à Ngazidja et de ses interprétations.

Au Nord-Est, particulièrement, à Ipvwani, se trouvent des tombeaux que les habitants assimilent à des tombes portugaises. Sur l’une d’entre elles, est gravée une croix. La plupart des gens pensent qu’il s’agit d’une croix chrétienne. Une autre tombe contient, elle, un trait et deux points opposés, mais garde tout son mystère, jusque lors. Dans le meme village, on retrouve des idéogrammes gravés. Sur ces derniers, on distingue l’étoile à cinq branches. Certains disent qu’il s’agit d’une preuve de la présence juive aux Comores.

Non loin de là, à Ntsaweni, l’archéologue Ibrahim Moustakim[1] a relevé des symboles islamiques et non islamiques sur une tombe. En regardant de près, les symboles non islamiques se superposent à l’écriture arabe sur la pierre. Mais l’écriture semble récente, datée de 1893 (1311 de l’Hégire), comme l’a observé Nadhir al Hâmidî. Par le biais d’Ibrahim Comores, d’autres symboles ont été notés sur le ngome de Ntsudjini. On y retrouve, à peu près les mêmes motifs que ceux trouvés à Ipvwani. Il y a aussi des lettres arabes à côté. En 2018, Said Youssoufa Ouzali[2], nous apprenait que le sociologue et enseignant-chercheur Ibroihim Hassane (Saplot) avait découvert des pictogrammes, proches des hiéroglyphes, sur le mur où est enterré le grand sorcier des Comores, Bounambamba. Ces pictogrammes sont au sud-est de l’île, précisement à Male, dans la région du Mbadjini.

Pour résumer, des symboles ou des pictogrammes ont été relevés sur des tombes à Ngazidja, sur des parois de grotte et sur des murs. Là où butent les chercheurs, certains avancent l’hypothèse d”une présence juive, dû notamment à la presence de l’étoile à cinq branches. En les ramenant à des vestiges similaires ou proches, on se rend compte qu’il s’agit d’écritures.

Quelques-unes des traces trouvés à Ngazidja.

Au cours de l’année 2012, Tanambelo V.R. Rasolondrainy[3] a publié, en effet, un article sur l’art rupestre préhistoriques de Madagascar, qui donne matière à réfléchir sur ces questions. Il y parle de symboles ayant différents motifs, écrits verticalement et horizontalement. Cette découverte historique a reçu le concours de Felix A. Chami, qui a réussi à démontrer que les symboles présents sur les différents sites de Namoratunga[4] au Kenya relevaient, en réalité, d’écritures anciennes. Cet art rupestre du sud de Madagascar, découvert dans un abri sous-roche à Ampasimaiky, n’en est donc pas loin.

En comparant les symboles trouvés à Madagascar avec d’anciennes écritures répertoriées, à savoir l’ancien l’ancien lybien, le proto-égyptien, le méroïtique, le proto-sinaïtique, etc… Rasolondrainy démontre que l’ensemble est lié à l’ancien lybien : “Bien que des signes linéaires proto-Égyptiens, crétois et égéens aient été également verticalement écrits, je favoriserais l’origine libyco-berbère de l’inscription d’Ampasimaiky, sous l’influence de la description de Walter Cline, concernant les inscriptions libyco-berbères comme suit… Toutes les phrases soulignées [ramènent] l’inscription verticalement arrangée d’Ampasimaiky [à son] d’origine libyco-berbère. Bien que cette écriture ancienne était écrite tantôt horizontalement tantôt verticalement, force est de rappeler que les peuples libyco-berbères utilisaient deux alphabets différents pour chaque rangée. Tous les cinq caractères de l’inscription d’Ampasimaiky sont exclusivement apparentés à l’alphabet vertical libyco-berbère”.

Par le biais de cet article, nous apprenons aussi que les symboles repris par Jean-Paul Cros et Roger Joussaume[5] sont, en d’autres termes, de types schématique, géométrique et amorphe (SGA). Il s’agit de symboles se trouvant sur les différents sites de Namoratunga. L’un des sites – Namoratunga II – date du deuxième millénaire avant J.-C. Vers la fin de son article, Rasolondrainy, indique que le type SGA se trouve dans la Corne d’Afrique, à Zeban Kutur, en Érythrée. Il finit par conclure : “A plus forte raison, les documents écrits anciens, l’archéologie, l’étude génétique et la zooarchéologie [confirment tous ] les contacts anciens qui existaient, pendant cette période, entre la vallée du Nil et le monde méditerranéen d’une part, et la côte orientale d’Afrique et les îles adjacentes d’autre part”. En somme, tout au long de la côte orientale africaine, jusqu’aux îles non loin, il existait une ou plusieurs écritures anciennes, se rapprochant les unes des autres, écrites de façon horizontale et verticale.

Des traces.

Malgré les barrières avancées par certains, il est aujourd’hui évident que les anciens habitants avaient leur manière d’écrire et de communiquer. Et si nous comparons ces anciennes écritures aux pictogrammes trouvés dans les différentes localités de Ngazidja, des similarités apparaissent. Sur les pictogrammes de Male, il y a le symbole du crochet, que l’on retrouve dans presque toutes les anciennes écritures listées par Rasolondrainy. Il symbolise la lettre latine “d” ou “p” en fonction de la forme qu’il prend.

Le symbole présentant la forme d’un “t” est également présent dans presque toutes ces écritures anciennes. Le symbole se rapprochant le plus, malgré qu’il soit inversé, est celui qui se trouve dans l’ibéro-punique. En visionnant les idéogrammes d’Ipvwani, on voit que les batôns barrés sont les mêmes que dans les anciennes écritures de l’ancien lybien, du proto-Egyptien, de L’ibéro-punique. Les symboles ayant la forme d’un serpent sont similaires à ceux du proto-sinaïtique. Quant à la soi-disante croix latine, elle est proche de symboles se trouvant dans le proto-sinaïtique, l’ancien berbère et le tifnagh. Pour terminer le symbole où on voit un trait et deux point opposés est proche du tifnagh et de l’ancien lybien, là aussi.

Au vu de toutes ces observations, on peut dire que les pictogrammes et les idéogrammes présents sur l’île de Ngazidja représentent d’anciennes écritures. Cependant, il se pourrait qu’il s’agisse d’une seule et même écriture. En en vérifiant l’origine, il ressort que ces écritures proviennent d’une langue ancienne : le Quora [6], ayant donné vie à différentes branches dont l’écriture couchitique du Sud. Celte langue afro-asiatique serait née il y a 10.000 ans dans la Corne de l’Afrique. Par conséquent, l’écriture trouvée dans les différentes localités de Ngazidja appartiendrait à une écriture couchitique. Car la côte est-africaine et les îles proches étaient habitées par des locuteurs couchitiques depuis 3000 ans avant J.-C, d’après Felix A. Chami[7]. Donc les pictogrammes et les idéogrammes appartiennent à une ancienne écriture proche ou relevant de l’ancien couchitique. Il reste à la déchiffrer et à fouiller dans le reste de l’archipel, afin de trouver d’autres écritures, similaires ou pas.

Rabouba Jr Al Shahashahani


[1] Ntsaweni.

[2] Habarizacomores.

[3] Tafat.

[4] Namoratunga est un site, situé au Nord-Ouest de Kenya où des mégalithes ont été alignés non aléatoirement avec des étoiles et des constellations. Ce site était utilisé par les anciens peuples couchitiques en tant que calendrier.

[5] Jean-Paul Cros et Roger Joussaume,  Les Mégalithes d’hier et d’aujourd’hui en Éthiopie, 2017.

[6] Afro-asiatique.

[7] Felix A Chami, Amandus Kwekason, Neolithic pottery traditions from the islands, the coast and the interior of East Africa, 2003.