Moroni Sanfili l’autre ville en gestation

Un quartier, dit-on, sans histoires. Situé au nord de la ville. Peu intégrée aux usages d’une cité aux assises complexes, dont le bangwe, les dons et les contre-dons ne garantissent plus la cohésion. Cet article est paru dans le numéro 60 du journal Kashkazi (février 2007).

Ce que l’on nomme aujourd’hui comme étant le grand Sanfili est né au départ d’une terre de feu, où seule l’administration coloniale semblait miser un kopeck dans les années cinquante ou soixante. C’est elle qui y a implanté la centrale des postes et télécommunications, qui a donné son nom au quartier. C’est elle qui y a installé, non loin, le siège de la compagnie d’eau et d’électricité, les installations de l’aviation civile, deux ou trois logements administratifs.

Des fragments de vie qui n’annonçaient que trop peu la configuration actuelle d’un site surpeuplé, délimité en six sous-quartiers (Sanfili ya djuu/ Sanfili y mbwani/ Hankunu 1/ Hankunu 2/ Al-Kamar/ Oasis), continuant à s’étendre de manière quasi spontanée. Un site sur lequel seules quelques personnalités liées à la vieille médina y ont laissé une réelle trace, par le passé. Parmi eux, Fundi Soulé, le père de l’ancien « président » de Ngazidja (Elbak), à qui appartenait une bonne partie des terres, revendues depuis à la population active de la ville, quelle qu’en soit l’origine.

Sanfili, lors d’une fête de quartier, il y a un peu plus de dix ans, organisée par des riverains dans l’idée de raffermir les liens et d’apaiser les tensions liées au voisinage. La Rose Noire, devenue une institution, aujourd’hui, dans l’artisanat du rêve et du divertissement de la capitale comorienne.

Un artisanat du rêve y fit le bonheur des riverains, ensuite. Une histoire d’enjaillement(s) qui a su capter l’attention de tous dans cette partie de la capitale, en éternelle reconfiguration. Un artisanat de la distraction, pour ainsi dire, qui s’est appuyé, dès le départ, sur l’existence en cet endroit d’une communauté mal organisée, d’individus happés par le rêve de la grande cité. L’exil rural faisait alors son entrée en masse dans le paysage.

L’aventure s’est vite distinguée avec la création du cinéma Al-Camar que viendra, aussitôt, rejoindre l’Alliance française. Des lieux de diffusion de la culture contemporaine, longtemps restés incontournables, dans l’histoire de la ville. Le théâtre et la danse y trouveront un point de chute. La diffusion de la littérature aussi. Puis il y a eu le Coelacanthe, le Tennis Club, les ventes de brochettes de rue et les filles de joie. Sanfili a toujours été le quartier des boîtes de nuit et de la restauration. La Rose noire, La Falène, la Grillade, les bals du Rotary Club et plus récemment encore le Paradis des îles…

Sur les hauteurs du grand Sanfili d’hier, Volo Volo market.

Quartier ouvert à toutes les influences, peuplé par des gens venus de tous horizons, issus de toutes les classes sociales, Sanfili annonce ce qui pourrait advenir de Moroni demain, si des esprits éclairés n’arrivent pas à lui redonner un nouveau souffle. Un bordel organisé à ciel ouvert, ne répondant à aucune autorité morale ou politique, ne se soumettant à aucune règle d’urbanisation digne de ce nom, abritant des individus aux destins souvent opposés. Avec le risque d’une communauté éclatée où l’égoïsme des uns rivaliserait avec le malheur des autres, sans aucune possibilité de redéfinir les enjeux communs, nécessaires à l’épanouissement du citoyen qui y réside.

A quoi ressemble Sanfili en réalité ? A un monde dont l’avenir est en suspens et dont le paysage est complètement défiguré. Avec des habitants qui ne se soucient guère d’être « moroniens », qui se jettent des anathèmes à la gueule, matin, midi et soir, un chef de quartier sans cesse remis en question, des groupes associatifs à peine soucieux du bien commun, une jeunesse à l’imaginaire menaçant, des maisons refermées sur elles-mêmes, des destins d’hommes mis aux enchères. Sanfili détient pourtant une part importante du capital économique de la ville. Avec son grand marché de Volo Volo notamment. Mais qui s’y penche vraiment ? Ses habitants semblent dépassés par son trop-plein de vie. Et le fossé continue à se creuser avec le monde alentour.

Soeuf Elbadawi

Image en Une : une rixe de quartier contre un chauffeur de bus indélicat. Sanfili est une des routes utilisées pour se rendre à Volo Volo.