Le guide du petit macho au pays

Allaoui, Ali et Abderhemane racontent leur vie sentimentale : drague, sexe et mensonge. Accrochez-vous les filles, ils n’ont pas de scrupule et se foutent pas mal de vous briser le cœur ! Portait d’une adolescence et de ses idées reçues sur les femmes. Article paru dans le n° 67 du journal Kashkazi en 2007. Nous le republions à l’occasion de la journée du 8 mars.

Quel est le meilleur sujet de conversation quand on a 17 ou 18 ans, du temps à tuer après le collège ou le lycée, et des copains avec qui s’asseoir sous un badamier ? Les filles, bien sûr. Allaoui, Ali et Aberhemane ne s’en privent pas et n’hésitent pas à forcer le trait sur leur pouvoir de séduction ou la « bêtise » de ces demoiselles. Ont-ils déjà été amoureux ? Ils avouent que non. Peut-être feront-ils moins les malins le jour où ça leur arrivera… En attendant, ils nous guident dans l’univers résolument machiste du jeune homme avide de conquêtes…

Séduire. A les entendre, les goûts de ces dames sont des plus prévisibles. « Elles s’intéressent à nous si on a de l’argent, qu’on est célèbre et stylé. Elles aiment les gens qui chantent, les bagnoles et les vêtements de marque ». Si par malheur ces atouts vous faisaient défaut, qu’à cela ne tienne : « Il faut savoir mentir. Je vais lui dire : ‘C’est moi le chouchou de mon quartier’. Comme elle habite loin, elle va me croire, et je peux convaincre mes copains d’aller lui dire des choses sur moi ! » Toutes ne sont cependant pas logées à la même enseigne. « Il y a beaucoup de chemins pour draguer, selon la fille. Si elle est gâtée, bien élevée, qu’elle va à l’école, il faut la gâter encore, être quelqu’un de bien, copier sa manière et être un bon élève comme elle. Si c’est une soussou, quand elle passe, tu lui dis : ‘T’es mignonne, on peut se voir demain ?’ Et le lendemain, en l’attendant, tu prépares un sandwich et un coca ». Tous ces efforts sont fournis avant que la proie ne succombe. Ensuite… ce n’est plus aussi intéressant. « Au début, c’est la femme qui domine. C’est moi qui vais courir la chercher, lui dire des choses qui vont l’intéresser… Mais si elle accepte, là c’est elle qui va courir pour me voir ».

Cumuler. Assis sous leur arbre, ces messieurs aiment à comparer leur palmarès. Ali cumule quatre petites amies. « C’est la mode. Quand je reviens en disant que j’ai trouvé une fille, Abderhemane va me dire : ‘J’en ai trois et toi tu n’en as qu’une !’ Alors je vais en chercher d’autres ». MaisAbderhemane s’est, depuis peu, assagi. « J’en avais deux, mais j’ai décidé de n’en avoir qu’une car elle m’aime beaucoup, sa famille m’aime beaucoup, et je trouvais ça dégueulasse ». Allaoui, lui, reste à deux. Ces jeunes filles s’entendent évidemment dire, chacune à leur tour, qu’elles sont la seule et l’unique.

Mentir ou pas ? Il arrive cependant qu’une belle ait vent de l’infidélité. La stratégie est alors des plus simple : « Si on l’aime beaucoup, on dit des mensonges. Si on l’aime pas, on dit : ‘C’est vrai.’ Une fois, une fille est venue chez Allaoui alors que j’étais avec une autre. C’était la bagarre. J’ai dit à l’une : ‘Laisse, l’autre c’est une bête, il faut la laisser !’ et quand elle est partie, j’ai couru vers la deuxième pour dire : ‘C’est pas vrai, c’est l’autre qui est bête !’ Et les deux sont restées avec moi ! »

Comparer. Connaître un ami possédant une « cabane » se révèle vite indispensable. « On les emmène chez Allaoui, il nous donne les clés. Il ne faut pas que ce soit des filles du quartier, et puis on passe par le côté, sa maman ne nous voit pas. Je dis à Allaoui : ‘Aujourd’hui vous allez voir, j’ai rendez-vous à 9 heures.’ Lui il vient regarder par un trou si c’est vrai et les copains jugeront si elle est belle ».

Quel monde pour cette jeunesse au croquant machiste ?

Consommer. Âmes sensibles et romantiques, veuillez stopper là votre lecture. « Si on a trois ou quatre filles, c’est qu’on ne trouve pas celle qui nous plaît vraiment. Donc ces filles-là, on veut juste les utiliser, en profiter, éteindre le feu. Si elle vient la première fois et qu’elle ne veut rien faire, elle dégage ». Et discuter, flirter avec une demoiselle charmante mais qui refuserait d’aller plus loin ? « Si je voulais juste parler à une fille, j’irais parler à ma mère ».

Profiter. Ces messieurs sont unanimes : « Les filles ont plus de sentiments. Parfois, elles ont des sentiments très forts par rapport aux hommes ». Pourquoi cette différence ? « Pour elles, c’est difficile de changer chaque fois de copain, c’est la honte ! Si une fille a quatre hommes, on va s’asseoir là et quand elle passe on va dire : ‘Je l’ai déjà prise’, ‘moi aussi je l’ai déjà prise’… » Ali porte cependant un jugement sévère sur ses petites camarades de jeu. « Les filles savent qu’on a beaucoup de copines et elles acceptent quand même. Elles viennent dans une chambre à trois, alors qu’on est trois garçons… c’est des bêtises. C’est pas bien. Elles ne devraient pas accepter ». Pourquoi seraient-elles plus coupables que les garçons qui les entraînent dans leur chambre ? « Parce que ce sont des filles ! Les filles, c’est plus honnête que les garçons. Ce sont des gens qui ne peuvent pas faire n’importe quoi, sinon c’est fini pour elles. Mais elles se dévalorisent pour rien ! »

Gérer le service après-vente. Tout cela serait parfait sans un léger détail… « Le problème dans notre génération, c’est que quand on met les filles enceintes, on sait pas quoi faire ». Et les préservatifs ? « Il arrive des accidents, si la fille vient sans prévenir. Moi j’ai eu six accidents, dont un qui a fini par une grossesse. J’ai dit à mes amis que j’avais un problème et ils m’ont aidé, car demain ça peut leur arriver. On a trouvé du Citotec, ça coûte 1.000 fc ». Le Citotec, médicament souvent utilisé pour mettre un terme aux grossesses non désirées, n’est pourtant pas conçu pour ça. Des jeunes filles frôlent régulièrement la mort et finissent aux urgences après avoir souffert le martyre, leur corps n’ayant pas réussi à évacuer l’embryon en décomposition. Mais nos bourreaux des cœurs n’en ont cure : « On fait ça parce que si on va à l’hôpital, ça va coûter cher. On n’a pas le choix : si sa famille est au courant, ils vont la tuer. Et puis, ceux pour qui ça tourne mal, c’est qu’ils ne savent pas utiliser le Citotec ».

A qui le pouvoir ? Finalement, le jour où ces garçons décideront de se marier, qui commandera à la maison ? « Je peux obliger ma femme à faire quelque chose, parce que c’est moi qui m’occupe d’elle », lance Ali. « C’est l’homme qui doit tout faire pour s’occuper de sa femme. Son argent c’est pour elle, notre argent c’est pour tous les deux ». Yasser, qui vient d’arriver, annonce que « si ma femme travaille et qu’on partage les choses à payer à la maison, je ne pourrai pas lui dire fais ci ou fais ça ». Tous n’en resteront pas moins légèrement supérieurs à leur épouse, disent-ils. Pourquoi ? « Parce qu’on est des hommes ! »

Lisa Giachino

« IL N’ETAIT PAS CAPABLE DE NOUS GARDER ». Salima, 19 ans, est formelle : « Nous les filles d’aujourd’hui, on ne se laisse plus dominer comme nos mamans ». La révolution dont elle parle est cependant toute relative. « Nos mamans n’avaient pas vraiment de jalousie. Elles n’allaient pas fouiller dans la vie privée de leur mari. Tandis que nous, si les garçons voient une autre fille plus belle et la cherchent, on va faire tous nos efforts pour la dominer. Et si on ne trouve pas notre copain, on va aller jeter un coup d’œil dans sa cabane pour voir s’il n’est pas avec une autre fille ». La jeune fille, qui a abandonné le lycée au moment de sa grossesse, en sait quelque chose. Son ancien petit ami, avec qui elle était depuis trois ans et pour qui elle avait rompu avec sa propre famille, a fini par l’abandonner, enceinte. Séduit par une autre. « Je l’aimais beaucoup, mais chez moi ils ont fini par le savoir. Je disais que j’allais à l’école alors que c’était pas vrai. Alors, je suis allée vivre chez le garçon, mais sa famille ne m’aimait pas. Je lui ai dit qu’il fallait qu’on parte, qu’on trouve une autre maison. Il a refusé. Puis je lui ai dit qu’il fallait qu’il me laisse retourner chez moi, mais là, il m’a répondu qu’il m’aimait, qu’il allait travailler pour qu’on prenne une maison. Il s’est passé quelques mois, il n’a rien fait, et en fait j’ai découvert qu’il avait une autre fille. J’ai décidé de le quitter, puis j’ai découvert que j’étais enceinte. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’il me lâche, qu’on devait élever ensemble notre bébé. Il m’a répondu qu’il n’était pas capable de nous garder, moi et le bébé. Alors je suis rentrée m’excuser auprès de ma famille ». De toute la grossesse de Salima, le jeune homme ne s’est jamais préoccupé de son sort et n’a pas participé aux frais médicaux. A présent que l’enfant est née, il réclame sa garde.