La polygamie a vécu ses heures de gloire

Bonne nouvelle ! L’évolution des mentalités et les difficultés économiques font inexorablement reculer la polygamie au sein des Comores indépendantes. Article paru dans le numéro 67 de Kashkazi en 2007. Nous le republions à l’occasion du 8 mars.

La légitimation de la polygamie par la loi islamique n’a fait que conforter une pratique qui la précède, en y introduisant une limite de nombre – pas plus de quatre femmes à la fois – et des critères d’équité censés freiner les abus. La configuration du mariage aux Comores, qui se définit comme « l’acte fondamental qui donne un sens à la vie de la femme comorienne (…) et est présumé lui apporter l’honorabilité, la sécurité voire la richesse » selon le planificateur Attoumani Boina Issa, a favorisé ce système. En 1991, 16,44% de la population comorienne était concernée, « avec des variations entre les îles, qui vont pratiquement du simple au double. Ce taux était de 9,65% pour Mwali contre 18,89% pour Ndzuwani, avec une majorité de deux épouses par polygame », souligne le Rapport Impact des relations genre commandé par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA).

Outre la tolérance de l’islam, d’autres facteurs sociogéographiques ont sans doute accentué le phénomène : la dépendance financière de la femme vis-à-vis de l’homme, mais aussi l’insularité. La mobilité du personnel administratif affecté hors de son île d’origine a, au cours de la période coloniale, servi de prétexte à un deuxième mariage. Il est courant que les fonctionnaires de l’époque aient eu une femme dans chacune des îles de l’archipel. Tendance encouragée par une conception de l’influence politique inspirée des sultans, qui a également motivé la multiplication des ménages dans une même île par les hommes. Le pouvoir économique dont disposait le personnel politique et administratif a contribué dans les années 1980 à l’épanouissement de la polygamie, de même que le système du grand-mariage et les pressions familiales à Ngazidja, qui ont poussé les hommes à se remarier dans leur village.

Enfin, selon Attoumani Boina Issa, « plus la proportion de polygames est importante dans une île, moins la proportion de mariages rompus par le divorce est élevée sur cette île ». Ce qui concourait en faveur d’une certaine tolérance à cette pratique. Surtout, comme l’explique Sittou Raghada, ancienne Haut Commissaire à la Condition féminine, « certaines femmes convaincues par l’idée non vérifiée qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans cet archipel, succombaient aux sirènes de la polygamie ». Une idée qui continue de se propager : c’est ainsi qu’une jeune fille de Caltex explique l’infidélité et la domination des garçons sur leurs petites amies par leur « faible nombre »

Au milieu, Attoumani Boina Issa (la chemise en fleur), économiste et analyste au PNUD, aujourd’hui à la retraite.

Si les hommes ne manquent donc pas d’arguments pour entretenir plusieurs épouses, la tendance est cependant à la baisse, notamment au sein de la nouvelle génération. « Le spectre du remariage pesait sur la femme, or aujourd’hui, c’est moins le cas. Les hommes pensent de moins en moins à se remarier et les femmes s’inquiètent moins », indique Sittou Raghada. La militante des droits des femmes note que même « les chansons marquant les cérémonies des mariages, qui attiraient l’attention sur cette menace, en font de moins en moins état ». Aucune enquête n’atteste ces affirmations, mais l’observation permet de noter une tendance à la monogamie, notamment parmi les classes moyennes.

L’évolution des mentalités à travers l’accès à l’éducation n’est pas la seule explication de ce changement de comportement au sein des ménages. Le coût élevé du mariage dans cette période de récession « n’encourage pas les hommes à prendre plusieurs femmes, surtout dans les villes », analyse Fatima Bacar. Selon la responsable de la Cellule d’écoute de Ndzuani[1], ce n’est cependant pas le cas « dans les villages reculés d’Anjouan où le taux serait stationnaire ». L’autonomie financière acquise par les femmes place celles-ci dans une position, qui leur permet de refuser la polygamie de leur mari. Une femme anjouanaise, cadre de la fonction publique, a ainsi demandé le divorce au motif que son mari a contracté un second mariage.

« De tels comportements étaient inimaginables, il y a quelques années. S’ils sont possibles aujourd’hui, c’est grâce à l’autonomie acquise par certaines femmes », estime Sittou Raghada. Ces réactions sont cependant plus faciles chez les femmes de plus de 35 ans « qui n’ont plus d’enfants en bas âge et qui n’éprouvent pas nécessairement le besoin d’avoir un mari pour vivre », commente Sittou. Reste que malgré ces évolutions, la polygamie n’est pas proscrite du Code de la famille, qui ne la fait pas figurer parmi les motifs de demande de divorce par la femme. Autre fait marquant : la jeune génération, bien qu’elle respecte les désirs des parents au moment des mariages, est elle moins complexée à concrétiser la rupture en cas de dysfonctionnement au sein du ménage. Une audace qui dissuade les hommes à s’aventurer dans un second mariage.

Kamal’Eddine Saindou


[1] Structure destinée aux enfants en danger, ouverte au sein de la Fédération comorienne de défense des droits de l’homme avec le soutien de l’Unicef.