Les mineurs isolés sont en situation irrégulière et sont à l’origine de la hausse des larcins, dit la rue. A tort… Cet article est paru dans le n° 67 du journal Kashkazi en octobre 2007. A Maore, on pointait le problème du doigt à l’époque, sans vraiment chercher à savoir ce qui se tramait. Entre multiplication des expulsions des parents et délitement des traditions...
Enfants des rues = délinquance. Dans l’esprit des gens, les deux phénomènes sont intimement liés. De même, la hausse sensible de la délinquance ces dernières années est en grande partie imputable à l’immigration, croient de nombreuses personnes. Les faits et les chiffres (que nous nous refusons à dévoiler pour des raisons éthiques) prouvent cependant le contraire. S’il est à prévoir que sur ces centaines de gamins délaissés, beaucoup « tomberont dans la délinquance », pour l’heure, les dossiers arrivés sur le bureau du juge des enfants et traités par la PJJ concernent essentiellement des adolescents natifs de Maore et de nationalité française. « Ils ont une adresse, et des parents », note un éducateur. D’ailleurs, « les cas de mineurs isolés sont rares. On s’occupe plus souvent de viols, de violences ou de prédélinquance ».
« On ne peut pas toujours lier la question des mineurs isolés à celle de la délinquance », affirme Catherine Fleury, responsable de la PJJ. « Il y a aussi beaucoup de jeunes délinquants mahorais ou même métropolitains. Certains ont leurs parents avec eux, mais ce sont des familles en situation précaire financièrement ou éclatées, dans lesquelles les parents sont dépassés, déstabilisés. De leur côté, les enfants sont moins malléables ». La perte d’autorité parentale n’est pas un phénomène nouveau. Il a déjà largement été traité par les médias locaux. Ses causes sont connues : délitement des valeurs traditionnelles, pouvoir d’attraction de l’Occident et de l’argent par le biais de la télévision et de la société de consommation, intégration plus rapide chez les enfants de leurs droits, etc.

Enfants en train de faire les poubelles…
Mais rien ne semble pouvoir ralentir son ascension. « La société mahoraise s’occidentalise. De moins en moins de jeunes supportent le joug familial, ils deviennent de moins en moins gérables », note Philippe Duret, directeur de Tama. « Désormais, entre un jeune Guyanais, un jeune Mahorais et un jeune Réunionnais, c’est la même façon de parler, de s’habiller, de régler les problèmes. Face à ça, la société mahoraise n’évolue pas. Les enfants sont de plus en plus durs, de plus en plus violents aussi, ils ont les mêmes problématiques que des jeunes occidentaux, et les réponses traditionnelles sont de moins en moins adaptées. Il y a 20 ans oui, mais plus aujourd’hui. Les gamins sont de plus en plus imperméables à cette structure familiale figée, quand eux évoluent très vite ».
Ainsi, les délinquants, non seulement ne sont pas tous des sans-papiers, mais certains viennent même de familles huppées. « On trouve des gamins qui sont partis en Métropole et ont acquis les réflexes des jeunes métropolitains. Leurs familles ne sont pas pauvres », dit Philippe Duret. « Ce sont même les plus durs », confirme une éducatrice. « Une jeune Comorien en situation irrégulière se tiendra à carreaux ici, car il sait que s’il fait une connerie, il sera expulsé. Un jeune Mahorais n’a pas ce problème », affirme un observateur, qui ajoute que « pendant des mois, la PAF a expulsé des mineurs. Je pense donc que ça a exclu pas mal de délinquants. Ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes, cela empêche notamment la tenue du procès ». Pour résoudre en partie le problème, il faudrait, note Philippe Duret, un observatoire de la délinquance. L’idée a été lancée fin 2005. Mais les nombreux mouvements de personnes à l’Apredema (Association pour la prévention de la délinquance à Mayotte), qui devait la coordonner, a ralenti le projet.
Autre idée reçue : tous les gamins que l’on voit dans la rue mendier ou faire les poubelles sont isolés. C’est loin d’être le cas. Exemple sur le parking de Sodifram. Ici, le vendeur de salades, habitué des lieux depuis plusieurs années, tord le cou aux images d’Epinal. Selon lui, tous ces jeunes qui font la manche ont encore leurs parents et vivent à Kaweni. « Ils sont inscrits à l’école mais ils n’y vont pas toujours. Quand leurs parents viennent ici, ils courent se cacher ». Plus loin, quatre garçons sont assis sur un muret. Le plus grand a 16 ans, les autres sont bien plus jeunes (12-14 ans). Le grand a l’air en bonne santé, il est vêtu correctement ; l’un des plus petits par contre a le visage et les jambes marqués et porte des haillons. Tous vivent à Kaweni, vont à l’école, se débrouillent plutôt bien pour parler français. « On vient ici pour jouer, discuter. – Pourquoi vous ne jouez pas dans votre quartier ? – On se fait frapper par les grands. – Est-ce que vous connaissez des enfants qui viennent ici pour avoir de l’argent ?- Oui, ils attendent les mzungu et vont chercher leur chariot. – Vous avez déjà essayé ?- Non ».

Lors d’une manifestation en 2018. Entre les discours et les faits, un tel fossé…
Selon une éducatrice, « certains de ces enfants ont fui de chez eux ou en ont été chassés parce qu’ils faisaient trop de bêtises ». Philippe Duret indique ainsi que les cas d’adolescents chassés du foyer par leur beau-père car trop grands, mais qui ne disposent pas d’un terrain pour construire leur banga, se trouvent dans cette situation. D’autres, des filles comme des garçons, sont en rupture totale avec l’autorité parentale et vivent dans la rue, à droite à gauche. Certaines de ces filles vendent leur corps pour survivre, comme nous l’écrivions en mai dernier.
Nawfal et Mariam sont au collège. Amina prépare un CAP de serveuse. Quant à Aïcha, elle a quitté l’école l’année dernière A 14 ans, livrée à elle-même, elle zone, navigue à vue, entre une mère dépassée, sans papiers français, sans travail et sans autorité, une grande sœur accaparée par son mari et ses deux enfants, et des « mecs » qui lui « donnent des sous ». « Avec ses parents, ça se passe pas bien », explique Amina en son absence. « Elle va dans les banga des mecs. Aujourd’hui elle dort là, demain là-bas. Elle fait tous les passe-passe dans mon quartier »[1].
D’autres mendient simplement parce qu’ils ont faim. Sur les hauteurs de Kaweni, Faïna[2], jeune mère de cinq enfants qui vivote (en situation irrégulière) depuis plu- sieurs années, grâce aux dons des pères de ses enfants, avoue ne pas pouvoir tous les nourrir chaque jour. « Je ne travaille pas. Je vais aux champs des fois, mais avec cinq enfants c’est difficile. Leurs pères apportent un sac de riz parfois, mais pas toujours. Ils ont une autre femme et ne veulent pas qu’elle sache la relation qu’ils ont eu avec moi ». Faïna sait que son plus grand garçon, âgé de 9 ans, mendie dans la zone industrielle. « Ça m’embête, mais que puis-je faire? Il a faim! »
Rémi Carayol
[1] Lire Kashkazi n°63, mai 2007.
[2] Nom d’emprunt.