A l’heure où l’on pérore sur les 150 millions d’euros que la France prétend accorder à l’Etat comorien pour son développement, il est intéressant de relire le coup de gueule de Madjuwani Hassane, paru dans le journal national Al-Watwan (n° 1389), le 28 août 2009. Cette chronique portait sur la manière dont on fait croire à un pays que la tutelle coloniale est là pour son salut.
Un rendez-vous sans doute capital pour notre pays et l’intégrité de son territoire approche à pas de géant : la prochaine assemblée générale des Nations Unies. Etrangement, seule la classe politique comorienne – celle aux affaires aussi bien que les opposants – ne semble pas s’en apercevoir. La dernière déclaration signée par des « candidats à la prochaine présidentielle de l’Union », par le « président » (le terme employé par ces signataires soucieux du respect des textes fondamentaux) de Mohéli, par le Mouroua et par des personnalités plus ou moins connues est, à cet égard, significatif. Tout ce beau monde s’est donné, à grande pompe, un rendez-vous bruyant à Mohéli pour s’exprimer sur l’état du pays.
Certes, ces personnalités sont dans les temps lorsqu’elles s’expriment par rapport à ce qu’elles sont en droit de considérer – ce qui est sans doute largement vrai sur certains sujets – comme étant des dérives contre les libertés de la part de certains responsables de l’Union. Ce qui par contre paraît pour le moins bizarre, c’est que dans cet état des lieux ils n’y aient vu que les questions de politique intérieure et peut-être même politicienne et se soient soigneusement gardées, jusqu’à la virgule, d’aborder l’essentiel et le crucial du moment : la question de l’intégrité territoriale. Cela est d’autant plus incroyable que si le débat sur la question de savoir si, oui ou non, Aha peut rempiler peut attendre (l’échéance étant fixée à dans pas moins de dix mois), tel n’est pas le cas pour ce qui est de la question de l’intégrité territoriale qui est en jeu dans moins d’un mois.
Si ces wazungu nous voulaient du bien…

A l’approche de ce rendez-vous – qui devrait nous permettre de réaffirmer à la face du monde notre souveraineté sur notre terre et de mettre en difficulté la politique du plus fort, coloniale, d’un autre temps, et contraire aux droits des autorités françaises actuelles – il ne me semble pas que nous nous engageons dans cette voie de la responsabilité qui ne peut être autre, à l’heure actuelle, que celle de la défense de la patrie et du droit. Bien au contraire. Selon toute vraisemblance, l’essentiel de la classe politique semble en voie de renouer, consciemment ou non, avec la voie des compromissions antinationales. L’argument le plus à la mode dans cette tendance se veut couler de l’évidence même. Selon elle, ce que ces tenants appellent inconsidérément le niveau de « développement » de la partie du pays restée sous domination nous impose d’attendre que la partie libre se soit « développée » pour revendiquer ce qui nous appartient.
Cet argument est d’une naïveté historique. D’abord, parce que jamais et nulle part au monde, un peuple n’en a eu recours, pour accepter la partition de son pays. Ensuite, parce que ces défenseurs nous demandent de nous fier – entre autres moyens de nous « développer » – à un plus grand rapprochement et au soutien… de la puissance d’occupation. Autrement dit, exactement comme un prisonnier, qui compterait sur le soutien de son geôlier, pour sortir de sa prison. Mais, pour croire, une seconde, à ce scénario farfelu, il faut également être frappé d’une amnésie totale. En effet, pour croire que le pays qui nous occupe aurait le moindre intérêt à nous voir aller de l’avant, il faut, à la fois, être entièrement c…, être animé d’un imaginaire débordant et, enfin, être un parfait ignorant de toute l’histoire des relations entre les deux pays depuis deux cent ans. A cet égard, on n’aurait, pour se convaincre du contraire, qu’à se référer à feue ma vieille tante, qui disait : « si ces wazungu nous voulaient du bien, il y a longtemps que cela se serait su ». Exactement deux siècles, madame !
Deuxième gaou est nyata
C’est pour cela que, mis à part dans certains ministères et dans certaines de nos notabilités villageoises pompeusement bombardées « mairies pilotes », peu de gens croient sérieusement que les projets dits de développement initiés par l’ancienne-actuelle puissance colonisatrice, qui, pendant deux siècles, nous a humiliés comme jamais cela ne s’est vu ailleurs sur la planète et maintenu par tous les moyens dans le sous-développement, soient autre chose que des miroirs aux alouettes destinés à nous occuper pendant que ses diplomates s’occupent, eux, des choses sérieuses : les intérêts coloniaux têtus de leur pays, malheureusement trop souvent synonymes de graves malheurs pour le nôtre. Personne ne croit plus que ces projets soient le plus court chemin pour retrouver notre souveraineté et qu’ils puissent être autre chose que la version coloniale de l’ex-célèbre boutade populaire : « zina nowuko ».

Notre propos ici n’est nullement de nier les bénéfices et le caractère utile de la coopération entre les pays et les peuples. Il n’est, ni plus ni moins, que de s’en tenir à notre propre expérience et vécu de cette « coopération » et de cette « amitié », qui nous ont échaudés, ces deux derniers siècles. Car, comme a chanté Magic Système, « si premier gaou n’est pas gaou. Deuxième gaou est nyata ». Dans la lancée du groupe ivoirien, et si je peux me permettre un petit conseil à ces politiques et personnalités, ce serait qu’ils jettent un bref coup d’œil sur le rétroviseur. Ils y verraient que, non seulement, toutes les concessions que nous avons faites, que la moindre de nos inattentions, ont été, systématiquement et brutalement mis à profit pour nous acculer au maximum, mais aussi que ceux qui ont été les gentils et tous beaux auteurs de ces concessions ont été jetés comme du kleenex par ceux-là mêmes à qui ils ont rendu les « bons » services et jetés dans la poubelle de l’histoire par leur peuple.
Ils comprendront, surtout, que cela a toujours été la règle et qu’il n’y a aucune raison pour qu’elle ait changée de nos jours, bien au contraire. Ceux-là mêmes qui reviennent, par intermittences calculées, jeter la pierre dans le jardin du peuple et repartir vivre au chaud dans le froid parisien pour revenir « rebeloter », toujours en temps et heure douteux, devaient y réfléchir à plusieurs fois. Ils devraient savoir que de même que seule l’amour sans détour de Dieu, le respect des dogmes et l’observation des préceptes de la religion de Dieu conduit au paradis de Dieu, il n’y a pas d’autres voies pour le paradis des hommes et à la gloire sur terre que celle qui consiste à s’en tenir sans détour aux seuls intérêts de son pays et de son peuple. Toute autre voie ne peut être qu’un remake mortel de notre bon zina nowuko aux dépends d’une nation. Notre nation…
Madjuwani Hassan