De 1985 à nos jours

Paru aux éditions Bilk & Soul, 12 lectures traverse l’imaginaire de l’archipel sur une période de 30 ans, en rappelant l’importance d’une littérature d’expression française qui offre matière à questionner le paysage et la mémoire.

12 lectures est un ouvrage co-écrit par Fathate Karine Hassan et Anssoufouddine Mohamed. La première est universitaire, enseignante de lettres à l’Université des Comores, spécialiste des théories littéraires en général et de la littérature comorienne en particulier. Elle sait lire les textes, les analyser, les critiquer. Le second est médecin, poète et grand lecteur. 12 lectures œuvre surtout à l’exploration d’univers souvent oubliés, méconnus, ignorés, parce que réservé à un petit cercle de lecteurs. Le livre redonne un sens nouveau aux écrits choisis, en les réinscrivant dans un contexte d’archipel.

12 lectures nous offre deux regards sur cette littérature de publication plutôt ré-cente. Le regard de la spécialiste et celui du poète-lecteur. Ce qui permet de ne pas rester sur un même son de cloche. « Le fait de rassembler 12 textes dans un livre permet de faire un tour d’horizon, sur ce qui, depuis 30 ans (sortie du premier roman comorien), est en train de se jouer dans l’archipel en matière de littérature. Retrouver les textes marquant de cette littérature dans un même ouvrage permet aussi de voir le chemin parcouru, d’envisager les forces et faiblesses de cette littérature, de dégager des perspectives » explique Anssouffoudine Mohamed. 

Les œuvres choisies ainsi que leurs auteurs représentent une singularité dans ce paysage insulaire. Mohamed Toihiri par exemple est le premier romancier comorien de langue française. Son Kafir du Karthala[1], plus de 20 ans après sa parution, continue à poser une problématique d’actualité. A travers le personnage de Idi Wa Mazamba, Toihiri interroge la responsabilité des intellectuels dans une société assiégée, militairement, et engluée, culturellement. Aboubacar Said Salim dans Le bal des mercenaires[2] questionne une génération, la sienne,  sur son rôle politique dans l’histoire récente du pays. Il est question du msomo wa nyumeni, une dynamique socio-politique et culturelle, qui a fédéré la jeunesse des quatre îles de l’archipel, contre les oripeaux du féodalisme et de la colonisation. 

Anssoufouddine Mohamed, un des co auteurs du livre.

Saindoune Ben Ali, autre auteur présent dans le livre, reste le premier à éclater les formes classiques de la poésie pour réécrire le legs dans Testaments de transhumance[3]. On peut citer Sadani, qui à travers un poème d’amour, revisite le politique avec une douceur certaine. Cette façon de dire l’archipel, loin des vociférations et du factuel situe son Sania[4] au-delà des pratiques poétiques déjà ancrées dans le pays. « Trumba » de Nassuf Djailani, un des fragments inclus dans Roucoulement[5], révèle une mémoire archaïque de cet archipel, incarnée par le geste et le rythme. Feu Salim Hatubou demeure l’auteur comorien le plus lu du pays avec une trentaine de publications. Il ne pouvait pas ne pas figurer dans ce recueil critique. Avec Brûlante est ma terre[6], Abdou Salam Baco revient, quant à lui, sur une période cruciale de l’archipel des Comores, celle de la séparation d’avec Mayotte. Il y parle des vexations subies  et des divisions intestines entre Soroda et Serrez-la-main.

Âmes suspendues[7] de Touhfat Mouhtare, une des premières auteures comoriennes connues, campe la force et la fragilité des  femmes. Alain Kamal Martial reste en théâtre l’auteur le plus joué à l’étranger. « Si on regarde l’ouvrage, on voit donc que chaque auteur a été choisi pour des raisons bien spécifiques »confie Anssoufouddine Mohamed, tout en précisant que le nombre 12 ne se rapporte à aucun mystère autour de cette littérature. « En 30 ans, cette littérature est restée foisonnante. Pour nous, il s’agit de dégager de grandes lignes directrices autour de ce paysage. Il s’agit aussi d’accompagner les lecteurs, en particulier les étudiants ». Ce recueil est un condensé représentatif de tout ce que la littérature comorienne d’expression française a pu produire de 1985 à nos jours. On y retrouve même des textes plus récents comme Un dhikri pour nos morts[8] de Soeuf Elbadawi…

Mohamed Youssouf


[1] L’Harmattan, 1985.

[2] Komedit, 2002.

[3] Grand Océan, 1996.

[4] Coelacanthe, 2011.

[5] Komedit, 2006.

[6] L’Harmattan, 1991.

[7] Coelacanthe, 2011.

[8] Vents d’Ailleurs, 2013.