Verdict et sentences, lisez Salim Hatubou sous Schvéik

On ne dira jamais assez que le verbe mène à tout. Il fut premier, donc commencement, donc renoncement, donc exécution capitale d’un silence, quelque part. Et voilà, que du haut d’un djabal, où des madones pures s’en sont allées narguer des pirates, privilège immense a été donné à un martyrologue du langage, pour flinguer des assaillants de l’imaginaire. So, darbini, je suis devenu. Et donc ikra’u bi idmi komoria…

Mna Madi[1] rencontre Schvéik[2].

D’aussi loin qu’on puisse se le remémorer, les contes de Mna Madi, localisés dans l’espace / temps, existent avant Iaroslav Hasek, un sublime ivrogne aux antipodes de Komorland. Pourtant, ce personnage de fiction, d’un roman loufoque du début du siècle occidental, est le portrait type, à quelques exceptions notoires, de notre Mna Madi national.

Cette calamité ambulante a défait des armées, fait chuter un empire, et causé quelques soucis à la rationalité humaine, aux Habsbourg, détenteurs de la plus criminelle de toutes les supercheries familiales. Ce personnage débonnaire qui concentre en son sein l’épaisseur universelle du bons sens populaire, s’appelle Mister Schvéik. On l’appelle aussi « l’idiot intégral ».

Schvéik est né à Sarajevo, un jour où un pétard, manipulé par un étudiant serbe, éclaboussa la tronche de Louis-Ferdinand 1er, aux fins de revendications nationalistes ! Et de ce pas, il se trouve enrôlé dans le massacre européen, de ce qu’ils appellent la der des der (ils ont remis le couvert en 39-45, les menteurs), the big one : la grande, la première guerre mondiale, the enormous boucherie entre chrétiens en mal d’amusements. Tout ceci est joyeusement narré à travers une trilogie décapante d’un certain Jaroslav Hasek (y a un accent sur le s), les aventures du brave soldat schvéik.

Sagesse

« Sagesse et malices de Madi, l’idiot voyageur », de Salim Hatubou, balade Mna Madi, autre trublion de l’imaginaire destructeur, tout fier de se savoir idiot, qui le crie sur tous les toits, comme Schvéik, qu’a aucun scrupule à décliner sa devise  – « Je vous déclare avec obéissance, monsieur, [que] je suis un idiot » – avant de détruire, justement, la logique supérieure de ceux qui se croient investis d’une mission de pouvoir.

Rappelez-vous, en exergue de « sagesse et malices de Madi », une voix crie à Mna Madi, he « tu es le descendant d’un idiot », et Mna Madi, d’acquiescer au pas de charge, « oui ». Avant d’emporter dans cet élan ironique, les normes de suffisance, les abus de pouvoir et les caprices de puissants. Et vlan ! Mna Madi, c’est le B’nwasiya des contes orientaux, chez nous, mâtiné de pauvreté et d’un peu de noirceur, sûrement, sans filiation connue, que de longer les sentiers, à tous temps, à la recherche de la sagesse ou de quelques rois ou princes à tourner en bourriques.

Schvéik est pareil. Un type sans autobiographie, sans attache connue que de travestir des cabots chourés, en faisant d’un chiwawa, un clebs de race, fabriquant des faux pédigrées à tout un chenil aux origines douteuses. Pourtant… Pourtant, le gonze est un véritable artiste de l’à-propos, un philosophe de l’absurde et un sniper de généraux, juges, prêtres et… princes. A lui tout seul, il te fout toute une organisation étatique à terre, par son comportement, sa pensée, ses gestes et son innocence. Les institutions de l’empire austro-hongrois en ont fait les frais. On le torture ? Il affirme que c’est génial parce que la torture permet de sauver l’empire. Son bourreau, interloqué et démuni devant tant d’inconséquence, n’a d’autre ressort que d’abandonner son clystère, écœuré.

A la messe, Schvéik se met à pleurnicher, pendant que, solennellement, les ouailles zouaves se recueillent. Il expliquera son geste par son besoin de plaire à Dieu. Car il pense que c’est bien de l’émotion, et que cela doit pouvoir encourager le prêtre d’avoir des bons et sensibles clients comme lui. On l’envoie au front ? Y pense qu’à bouffer, et participe à la gloire de l’empire, en contribuant à l’écriture de faux faits de guerre, situant des fronts qu’ont jamais lieu, stigmatisant des « héroïsmes de carton », au nom de l’armée autrichienne, car de toute façon, l’Autriche et son empereur vont gagner et botter le cul à la Russie.

Dans la même verve, notre Ibn wasiya insulo-tropical, Mna madi, va d’aventures en tchatche. Il se trouve devant un tailleur menacé de pendaison, parce qu’un roi fainéant et imbu, lui exige la confection d’une djellaba en cailloux ? Mna Madi rétablit fissa la situation, enjoignant au roi de lui trouver du fil de couture en fumée, pour lui tailler une très belle djellaba. Et revlan, dans sa gueule ! A un intrigant jaloux d’une cour en haillons, qui exige la tête de son beau frère haï, Mna Madi entérine le contrat (« je te donne ma tête et demain, tu me donneras la tienne »), mais, rajoute, « prends sa tête, mais pas sa vie »! Pour une histoire de tête de mouton! La classe! Auprès d’un autre roi, meurtrier, qui pense qu’à zigouiller la terre entière, afin de garder sa mocheté de princesse à ses côtés, va intervenir Mna Madi, qui aura gain de cause et foutra sa honte au roi. Hchouma !

Le-brave-soldatScheveik

En plus d’une gémellité consacrée à la marche (schvéik marche toujours, Mna Madi aussi), ces deux zigotos sont des vrais moulins à paroles. Qu’est-ce qu’ils causent ! Ils parlent en marchant, au lieu de marcher en chantant (inutile !), comme de bons soldats du hasard. Schvéik, militaire dérisoire, est enrôlé dans une compmarche (compagnie de marche) – Orwell, Georges, a dû lire Hasek, avec sa novlangue, in 1984– pour aller faire la peau aux ruskoffs. Mna Madi est guidé par un mystère, enjambant les chemins et les royaumes, pour dénouer des situations critiques, au gré du vent. Le choix porté sur des sujets errants tient du subjectif, car j’adore, que des moins que rien, des p’tits gars, issus du peuple, des Mna Madi, puissent accomplir un tel rôle philosophico moral, anéantissant les pouvoirs avérés. D’ailleurs, Hegel (eh oui !) prétend que « ce sont des individus totaux, qui concentrent brillamment en eux-mêmes, ce qui est autrement dispersé dans le caractère national ».

Souvenez-vous de Toussaint Louverture, le haïtien, qu’a pas forcément exagéré sur le rire, pour étaler les armées Napoléonienne, mais qui, d’esclave, est devenu le symbole de l’émancipation des peuples. Yes ! Chaque fois que Mna Madi arrive à démonter les abus de pouvoir d’un roi, prince ou princesse, le rire qui en naît, annule immédiatement et organiquement, le pouvoir qui sous-tendait ces abus ; et ça me plaît. Pour myself, les aventures de Mna Madi, idiot voyageur, sont un conte satirique, qui identifie itou, la dialectique de l’histoire des hommes et relève la déchéance de l’humanité. Bon, certains diraient que c’est dans la lignée de Quintilien, Xénophon et autres Louis-Ferdinand Céline (un facho çui-là), mais ce que je sais, c’est que ce Mna Madi, s’il pouvait revenir hanter nos palais et nos ministères…

Quant aux aventures du brave soldat Schvéik, elles pointent de la langue (il est bavard, mais bavard, ce Schvéik), l’absurdité des puissants. A des degrés supérieurs, par rapport à Mna Madi, Schvéik est, à lui tout seul, Che Guevara, Marx (les Groucho aussi) et Ali Swalihi Mtsachiwa, dans la critique sociétale, qu’il a engagé et la finalité objective, que l’on a constaté. L’empire austro-hongrois est tombé, les peuples s’en sont affranchis, malgré le philistinisme des petits états nationalistes subséquents et cette même Russie, qui, les avaient phagocytés, a été terrassée, elle aussi par l’histoire. Le parallélisme voulu, entre Hatubou et Hasek, procède encore une fois, d’une volonté subjective, sous le prétexte de l’idiotie des personnages de fiction, afin de signifier aux pouet pouet des îles fracassées contre les mers, que la littérature est chose sérieuse, critique et universelle, pour l’embaumer de vers illicites et de phraséologies redondantes et marbrées, qu’ont aucune signification, ni pour l’immédiateté de notre vie, ni pour le destin du monde.

Verdict : Lisez toujours Hatubou !! Sentence : Attaquez-vous à Schvéik (un pavé de 3 tomes), vous mourez de rire !

Sadani
[1] Sagesse et Malice de Madi l’idiot, de Salim Hatubou, avec des illustartions de Mokeït Van Linden, Albin Michel, 2004.
[2] Le Brave Soldat ChvéÏk, Gallimard, 1932, Folio no 676, 1975.
Le dessin à la Une est l’oeuvre de ReichKo, réalisée en hommage à Salim Hatubou, l’année de sa mort, à notre demande.