Salim Hatubou des livres et des contes

Le plus prolifique des auteurs comoriens de la nouvelle génération. Né à Ngazidja en 1972, Salim Hatubou grandit dans les quartiers Nord de Marseille. Fervent défenseur de l’oralité, il connaît son premier succès avec Les contes de ma grand-mère chez L’Harmattan en 1994. Une œuvre qui questionne la mémoire et l’identité[1].

Considéré comme un « festin de l’esprit », le conte tient une place majeure dans l’œuvre de l’écrivain comorien Salim Hatubou, que l’on ne présente plus. Il constitue une passerelle entre ses deux mondes d’existence. Les Comores, sa terre natale, et la France, sa terre d’accueil. La première, il l’a quittée à 11 ans, la seconde, il y vit. Dans Contes de ma grand-mère, Salim reprend de vieux classiques de l’oralité comorienne. Des contes où le gentil finit toujours par l’emporter.

Une façon innocente de faire la morale dans un monde en perdition. Une sagesse en réponses aux crises identitaires de ce siècle. Hatubou reste un enfant avec de la moustache et des rêves pleins la tête. L’art du conte agit dans son écriture tel un fil conducteur. Afin de pouvoir toujours poser un regard neuf sur la laideur des faubourgs de son Marseille d’adoption. Dans ses livres, « Allahalele », comme qui dirait « Dieu a élevé ». Une déformation de « hala halele », expression marquant l’ouverture des contes d’ici. Il était une fois un prince bossu et laid.

Allahalele, donc. « Je vais vous conter des histoires. Un conte est un mensonge. L’enfer est la demeure de celui qui le niera ». Dieu, qui nous a si bien élevé, nous a doté d’une parole pour le glorifier, raconter des histoires et festoyer. « Epluche-les, lave-les, mélange-les et prépare un repas digne des Seigneurs bantous, des ancêtres. Fais un bien-manger dont els palais et les langues diront encore et toujours ses saveurs à l’instar d’un griot repu ». Il faut être comorien pour conjuguer le conte de cette manière au festin, sur fond d’éruption volcanique. Du défaitisme des bonimenteurs aux estomacs gargantuesques ! Un personnage ne dit-il pas dans A feux doux : « si le volcan respectait nos traditions, il nous mangerait en parlant, riant, racontant des anecdotes ! Mais il ne fera pas tout cela, car c’est un monstre funeste ».

Autant que le conte, manger occupe une place de choix dans le texte de Salim. Un plaisir à la limite de l’épicurisme. « il ne me reste que la bouche, mes frères. Alors, elle dicte aux femmes des recettes qui me rassasient l’esprit. Il ne me reste que la bouche, alors je raconte des contes aux enfants pour qu’ils se rassasient (…) Je regrette que ces enfants-là ne puissent pas vivre encore pour que, plus tard, ils servent à leur tour des plats de mots à d’autres enfants ». toutes prétexte à ripailles dans A feux doux, paru chez Françoise Truffaut. Que l’on soit dans le rituel funèbre ou dans une fête moins lugubre, tout se fait en mangeant. Les noces comme les enterrements. Dans tous les cas de figure : maele-na-ntibe-na-dziwa ! Le plat des rois ! Pour un vieillard qui meurt ou pour un bambin qui naît. Se réunir, c’est une victoire sur la vie. Manger, c’est lui donner un sens…

« Mais le meilleur des plats » reste à jamais le « plat de contes » confie un des personnages du livre A feux doux. Par ses contes aux mille saveurs entremêlées, Salim Hatubou y raconte le pays de l’Ancêtre à sa façon. A la manière de sa grand-mère. Celle de Milepvani avait le culte des ancêtres et des légendes bien troussées. Elle le lui a transmis. A l’instar de ce personnage, à qui l’on servait les plus belles histoires de « notre archipel », avant de dormir. « J’en pleurais de joie, dit-il. Des histoires qui sentaient l’ylang-ylang et qui avaient le goût des nourritures divines ». Des histoires plus anciennes que les « dents noircies ». Des histoires que « vous n’avez jamais ouï conter », écrit encore Salim Hatubou, qui tente de raconter « l’irracontable ».

Faïza Soulé Youssouf


[1] Article initialement paru dans Al-Watwan Magazine, en décembre 2013.