Casse-tête et édition

Du métier d’éditeur à l’étroitesse du marché de la littérature comorienne d’expression française. Une histoire de 300 lecteurs pour cercle d’initiés. Un marché, certes, en expansion, mais encore peu profitable pour ceux qui l’entretienent[1].

Les maisons d’éditions comoriennes ont la lourde tâche entre autres de promouvoir les écrivains du pays. Mais ces derniers, malgré une constante augmentation de la production, manquent encore sérieusement de visibilité. Chamanga, auteur et linguiste, explique son choix d’être éditeur par le besoin de promouvoir l’écriture t la civilisation comoriennes. Dans les années 1990, il était directeur de collection chez L’Harmattan. Mais « la politique tarifaire de cette maison d’édition et la difficulté des auteurs comoriens à se faire publier » le pousse à inviter ce qui deviendra par la suite la première maison d’édition comorienne. L’éminent linguiste est formel, cependant. « Nous n’avons jamais eu que quatre dont les retirages, sur une période de plus de cinq ans, ont permis la vente de 1.000 exemplaires ou un peu plus ». Entre le rêve et la réalité, il y aurait tout un monde. Le tirage des auteurs consacrés dépasse rarement les 300 exemplaires.

Komedit de Chamanga existe depuis 13 ans, mainteant. Les éditions Encres Sud de Salim Hatubou, également. D’autres leurs emboîtent le pas depus. Les éditions de la lune, Coelacanthe, Bilk & Soul, Kalamu des îles. Mais peut-on vraiment parler de réussite en la matière ? Les difficultés rencontrées par ces éditeurs sont légion. Pour Chamanga, « la principale difficulté réside dans la faiblesse du marché. Les Comoriens (de l’intérieur comme de l’extérieur) lisant très peu, les tirages sont trop faibles pour rendre la maison rentable ». Le souci réside notamment dans le fait que le livre n’est pas encore inscrit dans les pratiques de consommation culturelle aux Comores. Les auteurs publiés manquent par ailleurs de visibilité. Or, on sait que celle-ci reste tributaire de la chaîne de diffusion du livre et de l’intérêt même de  ce que racontent les auteurs.

Chamanga, le patron de Komedit.

«  Les deux restent fragilisés par l’inexpérience des professionnels de la place et par la déconnexion manifeste de ceux qui écrivent avec leur sujet immédiat. LE milieu de l’édition comorienne est tenu par des gens dont ce n’est pas vraiment le métier. Ce ne sont pas des entrepreneurs. Ce sont des chercheurs. Ilns ne connaissent souvent rien à l’économie. Quant au contenu littéraire lui-même, il pêche parfois par son incapacité à répondre aux interrogations du citoyen. Pour beaucoup d’entre nous, écrire est une manière de se distinguer, et non le moyen d’être en phase avec le réel. Nos écrits ne répondent pas toujours à une nécessité » confie Soeuf Elbadawi, responsable éditorial des éditions Bilk & Soul. Est-ce à dire qu’un auteur comorien ne doit converser qu’avec ses seuls compatriotes ? On sait maintenant qu’il n’y a que 300 comoriens qui lisent en moyenne par ouvrage. Et encore…

Au titre des autres reproches faits aux éditeurs, l’bsence d’une stratégie de com au service de leurs auteurs. Nombreux sont les écrivains, qui, las, se retrouvent à faire eux-mêmes la promotion de leurs écrits. Le coût prohibitif du livre sur le marché local n’aide pas, non plus, à élargir le « cercle des initiés ». Beaucoup pensent que la réponse pourrait venir de la ratification des Accords de Florence (et de leur application) par l’Etat comorien, à l’instar de Salim Hatubou ou même d’Aboubacar Ben Said Salim, auteur du Bal des mercenaires, qui, lui, ne manque jamais une occasion de le rappeler aux autorités conercnées. Mais faut-il encore croire en ce sésame, quand on connaît l’exiguïté du marché ?

Les Accords de Florence éviteraient aux éditeurs comoriens d’avoir à payer des taxes en douane. Mais  rares parmi eux sont ceux qui passent en douane. Beaucoup de livres arrivent de l’étranger dans des valises de particuliers : le frère, le cousin de la sœur ou encore le voisin du même village. Leur poids excède rarement les kilos accordés par les compagnies aériennes desservant le pays. Devoir ratifier des accords à l’Unesco pour permettre à 300 livres de passer la douane, est-ce vraiment la bonne marche à suivre ? Cette ratification avantagerait certainement de grandes maisons, comme Nathan ou Hachette, qui n’en ont pas vraiment besoin…

Faïza Soulé Youssouf


[1] Article initialement paru dans Al-Watwan Magazine de décembre 2013.

L’image en Une : le poète Saindoune Ben Ali dans une rencontre à Singani.