Retour sur un recueil de nouvelles de Said-Ahmed Sast, sorti aux éditions Komedit en 2007. Cette chronique, publiée par le journal Kashkazi, date du 06 septembre 2007.
Il y a des livres qui se racontent avec emphase, d’autres qui se lisent avec un malaise certain. Ce recueil de nouvelles entremêlées ferait-il partie du deuxième cas de figure? A priori, l’auteur n’y va pas de main morte. Il dresse depuis Moroni le bilan d’une société relativement immonde. Corruption, prostitution, dépravation en tous genres. Au menu, le succès du blanchiment de peau à coup de« pandalau », le naufrage d’une jeunesse en manque de repères, l’imposture décrétée sport national, la « bonne mangeante » instituée en lieu et place de la bonne gouvernance.
Dans ces « berceuses assassines », un bel oxymore pour conter le désespoir du Comorien, les femmes devenues chattes ambulantes se vendent au plus offrant, la « bledocratie » se joue de la méritocratie de ceux ont rompu la bande (« halatsa kaseti ») à force de convictions, les parvenus s’en frottent les mains comme d’habitude et arrivent parfois à passer pour les « héros des temps modernes » lorsqu’ils sont douaniers. Quant au communautarisme des Moroniens, il rend ses enfants plus bêtes qu’ils ne le sont, essaie-t-on de le faire croire en certaines pages.
Pendant que la « mayottite » exprime un état de « souffrance psychotique aiguë », synonyme de « harakiri identitaire », à l’heure où Maore passe justement pour la nouvelle « undroni » (là où l’on est bien/ le nom de l’ancienne cité moronienne) pour des milliers de morts que l’océan avale sous les kwassa de la dernière chance. Aux plus hardis, l’auteur suggère d’offrir une partie de « touze » à un certain « Jimmy », employé à l’ambassade de France. Amateur de « petites blacks », il se fait un max de millions de francs, en délivrant des visas pour l’Europe, avec la complicité de ses amis ministres. Ceci bien entendu n’est que fiction. Cependant, l’auteur (ou son éditeur ?) prend soin de préciser dans la préface que « cet assemblage de fragments de vie prélevés dans le microcosme comorien, pris au hasard » n’est que « photographies instantanées, prises sur le vif, qui rendent compte des sociofacts apparus ces dernières années » dans l’Archipel.

Des travailleuses du sexe à Parambwani, non loin de la Rose Noire, une boîte de nuit à Moroni.
Il y ajoute que « le caractère cru de ces photos était nécessaire pour mieux saisir la partie visible de ce dangereux iceberg », tout en cultivant le doute sur une ambiguïté littéraire, à savoir que « toute ressemblance [avec] une ou plusieurs personnes vivantes » dans ce recueil est sciemment « voulue ». A ceux qui disent que la vieille morale est en perdition, comme le constate amèrement le narrateur de cette jungle d’histoires, l’auteur nous rappelle que c’est dans le secret des livres que se fabriquent désormais les vraies épiceries à polémique dans le pays. Said-Ahmed Sast inscrit ses pas dans l’invention d’un nouveau regard sur les réalités comoriennes, mais ne propose pas d’issue (est-ce le rôle d’un écrivain ?), à moins de vouloir singer son fabuleux fou, Djitihadi, qui, plutôt que de prolonger sa névrose sur la place Badja à Moroni, choisit de prendre le large.
Il s’agit ici du deuxième livre plus ou moins bien troussé d’un auteur qui, toujours, promet. Certains se rappellent encore de son premier coup d’essai : Le crépuscule des Baobabs, sorti chez le même éditeur. En ce qui nous concerne, nos préférences dans ce livre vont vers les « Gloutonneries » et « Les totalitarismes de la bêtise permanente ». Des petits morceaux de bravoure qui se distinguent nettement du lot.
Soeuf Elbadawi
L’image en Une de l’article figure Sast, l’auteur du livre, lors du festival Kiomcezo de l’université des Comores, à l’Alliance française de Moroni. Sur les côtés, se retrouvent des illustrations, extraites d’un portfolio « sauvage », issu d’un scandale sexuel, survenu à la même époque de parution du livre, et dont les détails ne semblent pas si éloignés de la fiction des berceuses.