Quels rôles pour les écrivains comoriens dans leur société ?

Entretien croisé de trois auteurs des Comores. Mohamed Toihiri, le premier romancier de l’archipel, auteur de La république des imberbes aux éditions L’Harmattan en 1985. Salim Hatubou, consacré pour Contes de ma grand-mère, également paru chez L’Harmattan en 1994. Nassuf Djaïlani, auteur de Spirale aux Belles Pages en 2004. L’entretien fut publié par Kashkazi[1] en novembre 2005.

Quel rôle à votre avis doivent jouer les écrivains comoriens par rapport à la société dont ils sont issus ?

Salim Hatubou : Ils doivent s’impliquer pour que les Comores cessent d’être les otages de quelques hommes politiques se moquant profondément de leur peuple. En même temps, il leur faut conquérir, par leur rigueur de travail, une place littéraire sur le plan mondial. Quand ils auront accès aux médias, ils seront en mesure de sensibiliser l’opinion internationale sur ce qui se passe dans leur pays, sur la question de Maore, par exemple.

Nassuf Djailani : Je lisais récemment dans la rubrique Mégaphone Sambaouma, qui appelle les auteurs comoriens à faire de la littérature qui serve la nation. Certes, et il y a urgence. Comment ? Faut-il écrire en comorien, raconter des histoires qui se passent forcément aux Comores ? Magnifier les héros comoriens ? N’écrit-on pas que parce qu’on a une histoire à raconter ? Nous sommes sommés d’écrire pour deux publics, pour les Comoriens d’abord, mais surtout pour ceux qui vont acheter nos ouvrages, à savoir l’Occident. Se pose alors un dilemme, nous dédoubler. L’auteur doit être un éveilleur de conscience. Il doit se draper dans le costume du fou diseur de vérité. Il doit voler l’audace du démiurge pour dire les mensonges séculaires.

Mohamed Toihiri : Le rôle premier de l’écrivain comorien est d’écrire, de créer. Et ce n’est qu’après qu’il peut devenir ce promeneur de miroir de la société, armé d’un poinçon aiguiseur de conscience. Il ne doit pas pour autant se prendre, ni pour un messie, ni pour un démiurge. C’est ainsi que la littérature comorienne dira la difficulté d’être de l’homme dans cette société. Cette difficulté fondamentale d’exister du genre humain, dont la population comorienne fait partie. La littérature doit rester un constant défi, être indépendante et refuser l’asservissement. Ceci doit presque être une éthique de l’écrivain comorien.

Assument-ils ce rôle actuellement ?

SH : A chaque fois que je donne une conférence, il y a quelqu’un pour reprocher aux écrivains comoriens d’avoir une écriture engagée. Moi, je considère qu’ils ne le sont pas assez. La route est longue, mais il ne faut pas oublier que notre littérature n’a qu’une vingtaine d’années.

Salim Hatubou et Mohamed Toihiri.

MT : Je crois que la plupart des écrivains comoriens sont des promeneurs de miroir de la société et des aiguiseurs de conscience. C’est ce que je trouve dans l’œuvre de Nassur Attoumani. L’œuvre de Salim Hatubou est le reflet, passé au prisme de l’auteur, de notre vie d’ici et d’ailleurs. Sast, dans Le Crépuscule des baobabs, jette un pont entre la vie de la diaspora et celle de ceux qui sont restés au pays. Que dire du maître de la poésie comorienne d’expression française, à savoir Saindoune Ben Ali ? Qui mieux que lui dit cette difficulté d’être, en nous prenant par les tripes, mais aussi la conscience, pour que nous nous débarrassions de cette léthargie presque atavique?

Comment vous positionnez-vous par rapport à ce rôle que vous avez défini ?

SH : Dans un mois sortira Hamouro, un roman qui met en lumière les rafles et les exactions commises à Mayotte sur ceux que l’on appelle à tort des clandestins, alors qu’ils sont sur une terre comorienne, soit dit en passant. Ensuite, je publierai Kaltex, une histoire sur tous ces enfants comoriens sacrifiés par les pouvoirs successifs. Il ne s’agit pas de problèmes comoro-comoriens, mais de drames qui doivent être dévoilés à la face du monde.

ND : Je m’emploie à dénoncer l’aliénation dans laquelle on est plongés. Je tente de faire passer le message selon lequel il est urgent pour nous de nous débarrasser de nos masques blancs et d’accepter ce que l’on est. Le salut des hommes passera par l’échange, l’interpénétration des cultures. On peut être Comorien et Camerounais, à Yaoundé, Comorien et Français à Paris, Comorien et Haïtien à Port-au Prince… Comorien et Mahorais à Mamoudzou.

MT : Mes livres, jusqu’alors, ont été une tentative de transcender la vérité officielle que les manieurs officiels de marionnettes aimeraient bien nous faire gober.

Le fait que les Comoriens lisent peu est-il un obstacle pour que les écrivains jouent pleinement leur rôle ?

SH : Ce n’est pas un obstacle puisqu’on n’écrit pas uniquement pour les Comoriens. Pour qu’ils lisent, il faut juste que l’Etat cesse de surtaxer les livres à la douane et qu’il mène une véritable politique culturelle, en construisant de vraies bibliothèques, par exemple. Aux prochaines élections, il faudrait que les écrivains et les acteurs culturels de ce pays réfléchissent bien sur le candidat qu’ils vont soutenir.

Nassuf Djailani.

ND : Les auteurs comoriens sont face un problème qui les dépasse : la complexité du travail d’auteur originaire d’un pays, où les gens ne le lisent pas. Je crois qu’il faut écrire sans se soucier du pour qui on écrit, après on fera le bilan. De toute manière, on écrit avec ce qui nous fonde, ce qui nous anime, ce qui nous fait vibrer.

MT : L’objectif premier que se fixe le créateur n’est pas l’engagement. D’autre part, le lecteur qui prend un livre ne le fait pas dans le but premier de trouver un auteur engagé qui va l’influencer dans ses opinions. Je crois par contre que si les Comoriens ne lisent pas, c est parce que nous sommes gouvernés par des marchands du temple qui préfèrent taxer les livres et grappiller ainsi quelques sous en droits de douane, au lieu de signer la Convention de Florence.

Comment réagissez-vous à l’engagement violent de l’écrivain Abdou Baco, qui a publié un texte intitulé « Mamoudzou et M’tsapéré saccagés par une horde sauvage de clandestins » ?

SH : Les déclarations de mon frère Baco m’ont rendu malade, parce qu’au-delà du fait que c’est un bon écrivain, c’est un bon ami. Il tenait un discours virulent à l’égard de la présence française à Mayotte. N’était-il pas sincère dans nos discussions à Anjouan ou dernièrement à la Grande-Comore ? Dans ce cas, c’est un bon acteur. Etait-il sincère quand, un jour à Anjouan, justement, il nous a montré sa carte d’identité comorienne ? Ses propos sont lepénistes. Toutefois, je continue à lui tendre une main fraternelle.

ND : Sur le coup, je me suis senti seul, tout à coup, sans celui en qui j’avais fondé tout mon espoir, celui qui a écrit un roman que j’aime beaucoup (Dans un cri silencieux), sur l’amitié. Quand on emploie le terme « horde » pour parler de frères, je ne comprends plus. Quand on se réclame solidaire d’un élu de la République – Dindar – qui a tenu des propos racistes, je crois que là ça va trop loin.

MT : Je m’associe à Baco pour me constituer partie civile devant la justice contre le faussaire qui se fait passer pour lui. Je ne pense pas que cette charge menée au karcher, cette outrance dans les sentiments puissent être de l’homme dont on connaissait la tempérance. Baco n’est pas si maladroit. Baco, qui est écrivain, n’oserait jamais écrire : « Que chacun reste chez soi et à sa place. » Mais s’il s’avérait que c’était vraiment lui, qu’il sache que malgré tous ses propos outranciers et haineux, il est le bienvenu à Mutsamudu, à Fomboni et à Moroni, et que moi, je serai toujours prêt à lui offrir un verre.

Propos recueillis par la rédaction de Kashkazi.


Image à la Une, le poète Saindoune Ben Ali, en intervention à Singani, dans la région de Hambu, à Ngazidja.

[1] Kashkazi n°14, 3novembre 2005.